t'appartient; je te dois tout, je n ai pas d'autre
devoir, pas d'autre bonheur en ce monde que de le servir. J'ai donc
quitte Geneve sans hesiter, et, pour prevenir des explications inutiles
et penibles, je suis partie sans voir Octave et sans lui faire d'adieux.
Je savais que cette nouvelle separation lui ferait beaucoup de mal; je
savais que mon affection ne pouvait jamais lui faire de bien, et qu'il
souffrirait moins, s'il parvenait a y renoncer, que s'il continuait
cette lutte entre l'espoir et le decouragement, a laquelle il est livre
depuis plus d'un an. Je croyais que cette rupture serait d'autant plus
facile que je ne lui disais point ou j'allais, et que le temps qu'il
perdrait a me chercher serait autant de gagne pour se consoler. Je t'ai
dit qu'il m'avait laissee partir sans regret, parce que tu te serais
imagine que je venais de te faire un sacrifice, et cette idee aurait
gate le bonheur que tu eprouvais a me voir. Non, ce n'etait pas un
sacrifice bien grand, mon ami; je n'ai reellement plus d'amour pour
Octave. Il est vrai qu'il m'est cher encore comme un ami, comme un
enfant adoptif, et que, dans le secret de mon coeur, j'ai pleure sa
douleur, et demande a Dieu de l'alleger en me la donnant; mais combien
je suis dedommagee aujourd'hui de ces peines secretes, en voyant que je
te suis utile et que j'ai fait quelque bien a Fernande.
D'ailleurs, tout est repare: Octave a decouvert ma retraite; il est venu
chanter et soupirer sous mon balcon, comme un amant de Seville ou
de Grenade; il a conte ses chagrins a Fernande, et l'a conjuree
d'interceder pour lui. Que pourrais-je refuser a Fernande? Reviens;
et, pour que les choses se passent convenablement, charge-toi de nous
presenter l'un a l'autre et de l'inviter a demeurer quelque temps avec
nous. Je prends sur moi de le faire partir sans cris et sans reproches;
car je ne prevois pas que l'envie me vienne de vous quitter pour le
suivre.
L.
DE SYLVIA A OCTAVE.
Vous etes un fou, et vous avez failli nous faire bien du mal. Ne vous
voyant plus reparaitre, j'avais espere que vous etiez parti, tandis que
vous vous amusiez a jouer avec le repos et l'honneur d'une famille.
Etes-vous si etranger aux choses de ce monde? Vous qui me reprochez sans
cesse de mepriser trop le cote reel de la vie, ne savez-vous pas que
la plus pure des relations entre un homme et une femme peut etre
mal interpretee, meme par les personnes les plus douces et les plus
honnetes? Vous qu
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