gent un intervalle de quelques heures, la violence ne
l'emporte pas sur la volonte aussi aisement. Voici ce que j'ai a
t'apprendre.
Samedi soir, tu te rappelles que je te laissai a la maison de Remi, pour
aller parler aux gardes forestiers de la cote Saint-Jean. Nous devions,
toi marchant plus lentement que moi, et m'attendant, si tu arrivais la
premiere, nous rejoindre au carrefour du grand ormeau; mais, par une
singuliere combinaison du hasard, tu te trompas de sentier et arrivas
tout droit au chateau, tandis que je me hatais de t'aller retrouver au
lieu convenu. Il faisait fort sombre, tu t'en souviens, et un peu
de pluie avait rendu l'herbe humide; le bruit des pas s'y trouvait
entierement amorti. J'arrivai donc sans etre remarque de ceux qui
etaient la. Ils etaient deux, Fernande et un homme. Ils se donnerent un
baiser, et ils se separerent en disant _demain_; ils avaient echange
quelques paroles a voix basse ou j'avais saisi un seul mot: _bracelet_.
L'homme disparut apres avoir saute par-dessus la haie du taillis,
Fernande appela a plusieurs reprises Rosette, qui etait apparemment
assez loin, car elle se fit attendre, puis elles partirent ensemble, et
je les suivis en me tenant a une certaine distance. Fernande avait l'air
parfaitement calme en rentrant au salon, et quand je lui demandai ou
elle avait ete, elle me repondit qu'elle n'etait pas sortie du parc,
avec une assurance etonnante. Je l'accompagnai jusqu'a sa chambre, et
j'attendis qu'elle eut ote ses bracelets; tandis qu'elle passait dans
son cabinet de toilette, je les examinai: l'un des deux avait ete
evidemment change; quoiqu'il fut exactement pareil a l'autre, quoiqu'il
portat mon chiffre, il n'avait pas une petite marque que le bijoutier
de Geneve a qui je les ai commandes avait mise a l'un et a l'autre. Je
souhaitai le bonsoir a Fernande avec calme et sans rien temoigner de
mon emotion: elle me jeta les bras autour du cou avec sa tendresse
accoutumee, et me reprocha, comme elle fait tous les jours, de ne pas
l'aimer assez. Le matin, elle entra dans ma chambre et m'accabla de
caresses auxquelles je me derobai en inventant un pretexte pour sortir
precipitamment. Alors je sentis qu'il etait au-dessus de mes forces
de dissimuler l'horreur que me causait cette femme. Je partis dans la
journee.
Il y a plusieurs jours que j'avais remarque quelque chose
d'extraordinaire dans la conduite de Fernande. Cette histoire de voleur
ou de revenant, dont la maison
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