n vous refusant la confiance que vous m'accordez. Vous
m'avez raconte toutes vos souffrances; l'etais si emue hier que je vous
ai a peine fait comprendre les miennes. Mais il vous est bien facile de
les imaginer, Octave; car ce sont absolument les memes que les votres,
et quiconque a souffert votre vie depuis trois ans a souffert aussi
celle que je mene depuis un an. Vous avez donc raison de m'appeler votre
soeur. Nous sommes freres d'infortune, et nos destinees ont ete melees
dans la meme coupe de fiel et de larmes; nous sommes tous deux froisses
et meconnus. Jacques est le frere de Sylvia, n'en doutez pas; il a tout
son caractere, toute sa fierte, tout son silence inexorable. Moi,
j'ai bien d'autres defauts que ceux dont vous vous accusez; nous nous
heurtons, nous nous dechirons donc souvent sans cause apparente; un mot,
une question, un regard suffisent pour nous attrister tout un jour;
et pourtant Jacques est un ange, et d'apres ce que vous m'avez dit de
Sylvia, je vois qu'elle est loin de posseder sa douceur et sa bonte dans
le pardon. Mais si le caractere de Jacques l'emporte, le fond de leur
coeur est le meme; la difference de nos sexes et de nos situations fait
que nous sommes traites differemment. Jacques ne peut me maltraiter et
me bannir comme Sylvia fait de vous, mais dans son ame il s'isole de moi
chaque jour davantage, et il se dit tout bas ce que Sylvia vous dit tout
haut: "Nous ne sommes pas faits l'un pour l'autre."
Affreuse parole, arret inexorable peut-etre! Eh! qu'avons-nous fait pour
le meriter? Je ne puis concevoir qu'on n'aime pas l'etre dont on est
n'aime, par cette seule raison qu'il aime. N'est-ce pas la meilleure
de toutes? n'est-ce pas le merite qui doit lui faire tout pardonner?
L'expiation tout entiere n'est-elle pas dans, cette seule parole:
Je t'aime! Jacques me l'a dit souvent, et avec quel transport je
l'accueille! Quand je me suis imagine pendant des jours entiers qu'il
est bien cruel et bien coupable envers moi, s'il revient avec cette
douce et sainte parole, je ne lui demande pas d'autre justification;
elle efface a mes yeux tous les torts et tous les maux; pourquoi
n'a-t-elle pas pour lui la meme valeur dans ma bouche? Ah! Octave, ils
croient qu'ils savent aimer, eux deux!
Eh bien! ayons courage, aimons-les tristement et patiemment;
peut-etre deviendront-ils justes en nous voyant resignes, peut-etre
deviendront-ils genereux en nous voyant souffrir; donnons-nous la main,
et marcho
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