vous
pas adoucir son ame indomptable? ne pouvez-vous lui communiquer cette
douceur et cette misericorde qui sont en vous? Dites-lui comment on
aime, apprenez-lui comment on pardonne; apprenez-lui surtout que l'oubli
des torts est plus sublime que l'absence des torts eux-memes, et
que, pour m'etre veritablement superieure, il faudrait qu'elle m'eut
pardonne. Son ressentiment la rend plus criminelle devant Dieu que
toutes mes fautes. La perfection qu'elle cherche et qu'elle reve
n'existe que dans les cieux; mais c'est la recompense de ceux qui ont
pratique la misericorde sur la terre.
Je serai ce soir autour de la maison. La lune ne se leve qu'a dix
heures; si vous avez obtenu quelque succes, mettez-vous a la fenetre et
chantez quelques paroles en italien; si vous chantez en francais, je
comprendrai que vous n'avez rien de favorable a m'apprendre. Mais alors
je n'en ai que plus besoin de vous voir, Fernande; venez au rendez-vous
a onze heures. Ayez pitie de votre ami, de votre frere.
OCTAVE.
XLIV.
DE FERNANDE A OCTAVE.
Je vous ai dit, hier soir, combien j'avais peu de succes: j'ai encore
moins d'esperance aujourd'hui. Ne nous decourageons pourtant pas, mon
pauvre Octave, et soyez sur que je ne vous abandonnerai pas. Le temps
affreux qu'il fait aujourd'hui m'ote l'espoir de vous voir dans la
soiree; je prends donc le parti de vous ecrire aussi, et de confier ma
lettre a Rosette, qui la mettra sous la pierre du grand ormeau.
J'ai essaye de parler de vous a Sylvia, mais j'ai rencontre des
difficultes sur lesquelles je n'avais pas assez compte; son caractere
raide et reserve a resiste a toutes les investigations de mon amitie. En
vain je l'ai assaillie de questions aussi adroites et aussi discretes en
meme temps qu'il m'a ete possible de les imaginer, je n'ai meme pas pu
obtenir l'aveu qu'elle eut jamais aime. Voyez-vous, Octave, on me traite
ici en enfant de quatre ans; mon mari et Sylvia s'imaginent que je
ne suis pas en etat de comprendre leurs sentiments et leurs pensees.
Refugies tous deux dans un monde qu'ils croient accessible a eux seuls,
ils m'en ferment impitoyablement l'entree, et je vis seule entre deux
etres qui me cherissent, et qui ne savent pas me le temoigner. Je vous
l'ai avoue hier soir, je ne suis pas heureuse; j'ai eu tort peut-etre de
vous faire cette confidence; mais vous m'avez pressee de questions si
affectueuses et de reproches si doux, que j'aurais cru faire injure a
votre amitie e
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