, lui dis-je; elle ne souffre que d'avoir perdu votre
amitie.
--Ah! ne dites pas cela! repondit-elle avec un accent dechirant. Mon
Dieu! epargnez-moi ce reproche-la! Dieu sait que je ne le merite pas!
Dites-moi plutot qu'elle m'aime toujours.
--Elle vous aime toujours tendrement, chere Marthe.
--Et vous aimez toujours Horace? reprit Marthe, oubliant tout ce qui lui
etait personnel, et me tirant par le bras pour me faire courir.
Je courus, et nous fumes bientot pres de lui. Il fit un cri percant en
me voyant, et se jetant dans mes bras:
"Ah! maintenant je puis mourir, s'ecria-t-il avec chaleur; j'ai retrouve
mon ami." Et il retomba sur son fauteuil, pale et brise, comme s'il
etait pres d'expirer.
Je fus tres-effraye de cette prostration. Je tatai son pouls, qui etait
a peine sensible. Je l'examinai, je le fis coucher, je l'interrogeai
attentivement, et je me disposai a passer la nuit pres de lui.
Il etait malade en effet. Son cerveau etait en proie a une exasperation
douloureuse, tous ses nerfs etaient agites; il avait une sorte de
delire, il parlait de mort, de guerre civile, de cholera, d'echafaud;
et melant, dans ses reves, les diverses idees qui le possedaient, il me
prenait tantot pour un croque-mort qui venait le jeter dans la fatale
_tapissiere_, tantot pour le bourreau qui le conduisait au supplice. A
ces moments d'exaltation succedaient des evanouissements, et quand
il revenait a lui-meme, il me reconnaissait, pressait mes mains avec
energie, et s'attachant a moi, me suppliait de ne pas l'abandonner, et
de ne pas le laisser mourir. Je n'en avais pas la moindre envie, et je
me mettais a la torture pour deviner son mal; mais quelque attention
que j'y apportasse, il m'etait impossible d'y voir autre chose qu'une
excitation nerveuse causee par une affection morale. Il n'y avait pas le
moindre symptome de cholera, pas de fievre, pas d'empoisonnement, pas de
souffrance determinee. Marthe s'empressait autour de lui avec un zele
dont il ne semblait pas s'apercevoir, et, en la regardant, j'etais si
frappe de son air de deperissement, et d'angoisse, que je la suppliai
d'aller se coucher. Je ne pus l'y faire consentir. Cependant, a la
pointe du jour, Horace s'etant calme et endormi, elle tomba a son tour
assoupie sur un fauteuil au pied du lit. J'etais au chevet, vis-a-vis
d'elle, et je ne pouvais m'empecher de comparer la figure d'Horace,
pleine de force et de sante, avec celle de cette femme que j'avais vue
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