bien pres, mon cher monsieur.
-- Comment?
-- Oh! vous ne comprenez pas. Non, je ne veux pas vendre ma maison
de Vaux. Je vous la donne, si vous voulez.
Et Fouquet accompagna ces mots d'un inexprimable mouvement
d'epaules.
-- Donnez-la au roi, vous ferez un meilleur marche.
-- Le roi n'a pas besoin que je la lui donne, dit Fouquet; il me
la prendra parfaitement bien, si elle lui fait plaisir: voila
pourquoi j'aime mieux qu'elle perisse. Tenez, monsieur d'Artagnan,
si le roi n'etait pas sous mon toit, je prendrais cette bougie,
j'irais sous le dome mettre le feu a deux caisses de fusees et
d'artifices que l'on avait reservees, et je reduirais mon palais
en cendres.
-- Bah! fit negligemment le mousquetaire. En tout cas, vous ne
bruleriez pas les jardins. C'est ce qu'il y a de mieux chez vous.
-- Et puis, reprit sourdement Fouquet, qu'ai-je dit la, mon Dieu!
Bruler Vaux! detruire mon palais! Mais Vaux n'est pas a moi, mais
ces richesses, mais ces merveilles, elles appartiennent, comme
jouissance, a celui qui les a payees, c'est vrai, mais comme
duree, elles sont a ceux-la qui les ont creees. Vaux est a Le
Brun; Vaux est a Le Notre; Vaux est a Pelisson, a Levau, a La
Fontaine, Vaux est a Moliere, qui y a fait jouer _Les Facheux,
_Vaux est a la posterite, enfin. Vous voyez bien, monsieur
d'Artagnan, que je n'ai plus ma maison a moi.
-- A la bonne heure, dit d'Artagnan, voila une idee que j'aime, et
je reconnais la M. Fouquet. Cette idee m'eloigne du bonhomme
Broussel, et je n'y reconnais plus les pleurnicheries du vieux
frondeur. Si vous etes ruine, monseigneur, prenez bien la chose;
vous aussi, mordioux! vous appartenez a la posterite et vous
n'avez pas le droit de vous amoindrir. Tenez, regardez-moi, moi
qui ai l'air d'exercer une superiorite sur vous parce que je vous
arrete; le sort, qui distribue leurs roles aux comediens de ce
monde, m'en a donne un moins beau, moins agreable a jouer que
n'etait le votre. Je suis de ceux, voyez-vous, qui pensent que les
roles des rois ou des puissants valent mieux que les roles de
mendiants ou de laquais. Mieux vaut, meme en scene, sur un autre
theatre que le theatre du monde, mieux vaut porter le bel habit et
macher le beau langage que de frotter la planche avec une savate
ou se faire caresser l'echine avec des batons rembourres d'etoupe.
En un mot, vous avez abuse de l'or, vous avez commande, vous avez
joui. Moi, j'ai traine ma longe; moi, j'ai obei; moi, j'ai pat
|