lquefois
accompagnee d'une sorte d'insanite d'esprit. Je redoublai de soumission,
d'effacement, de soins. Son mal me la rendait plus chere, et mon coeur
debordait d'une pitie aussi tendre que celle d'une mere pour l'enfant
qui souffre. J'adorais aussi en elle cet enfant de mes entrailles
qu'elle allait me donner; il me semblait entendre sa petite ame me
parler deja dans mes reves et me dire: "Ne fais jamais de peine "a ma
mere!"
"Elle fut, en effet, ravie pendant les premiers jours: elle voulut
nourrir notre cher petit Edmond; mais elle etait trop faible, trop
insoumise aux prescriptions de l'hygiene, trop exasperee par la moindre
inquietude; elle dut bien vite confier l'enfant a une nourrice dont
aussitot elle fut jalouse au point de se rendre plus souffrante encore.
Elle faisait de la vie un drame continuel; elle sophistiquait sur
l'instinct filial qui se portait avec ardeur vers le sein de la premiere
femme venue. Et pourquoi Dieu, ce Dieu intelligent et bon auquel je
feignais de croire, disait-elle, n'avait-il pas donne a l'homme des le
berceau un instinct superieur a celui des animaux? En d'autres moments,
elle voulait que la preference de son enfant pour la nourrice fut un
symptome d'ingratitude future, l'annonce de malheurs effroyables pour
elle.
"Elle guerit pourtant, elle se calma, elle prit confiance en moi en me
voyant renoncer a toutes mes habitudes et a tous mes projets pour lui
complaire. Elle eut deux ans de ce triomphe, et son exaltation parut se
dissiper avec les resistances qu'elle avait prevues de ma part. Elle
voulait faire de moi un _artiste homme du monde_, disait-elle, et me
depouiller de ma gravite de savant qui lui faisait peur. Elle voulait
voyager en princesse, s'arreter ou bon lui semblerait, voir le monde,
changer et reprendre sans cesse. Je cedai. Et pourquoi n'aurais-je pas
cede? Je ne suis pas misanthrope, le commerce de mes semblables ne
pouvait me blesser ni me nuire. Je ne m'elevais pas au-dessus d'eux dans
mon appreciation. Si j'avais approfondi certaines questions speciales
plus que certains d'entre eux, je pouvais recevoir d'eux tous, et meme
des plus frivoles en apparence, une foule de notions que j'avais
laissees incompletes, ne fut-ce que la connaissance du coeur humain,
dont j'avais peut-etre fait une abstraction trop facile a resoudre. Je
n'en veux donc point a ma femme de m'avoir force a etendre le cercle de
mes relations et a secouer la poussiere du cabinet. Au contraire,
|