etais au bout de ton expiation, et il me
tardait de t'embrasser. J'ai recu ta derniere lettre, qui m'a fait grand
bien; mais je n'avais pas besoin de cela pour savoir tout ce qui te
concerne. Je ne t'ai pas perdu de vue depuis sept ans. Tu n'as voulu
recevoir de moi aucun service de fait; tu m'as demande seulement de
t'ecrire quelquefois avec amitie, sans te parler du passe. J'ai cru
d'abord que c'etait encore de l'orgueil, que tu ne voulais meme pas
d'assistance morale, craignant surtout de vivre sous l'influence
indirecte, sous la protection cachee de Valvedre. A present, je te rends
pleine justice. Tu as et tu auras toujours beaucoup d'orgueil, mais ton
caractere s'est eleve a la hauteur de la fierte, et je ne me permettrai
plus jamais d'en sourire. Ni moi ni personne ne te traitera plus
d'enfant. Sois tranquille, tu as su faire respecter tes malheurs.
--Mon cher Henri, tu exageres! lui repondis-je. J'ai fait bien
strictement mon devoir. J'ai obei a ma nature, peut-etre un peu ingrate,
en me derobant a la pitie. J'ai voulu me punir tout seul et de mes
propres mains en m'assujettissant a des etudes qui m'etaient
antipathiques, a des travaux ou l'imagination me semblait condamnee a
s'eteindre. J'ai ete plus heureux que je ne le meritais, car
l'acquisition d'un savoir quelconque porte avec elle sa recompense, et,
au lieu de s'abrutir dans l'etude ou l'on se sent le plus reveche, on
s'y assouplit, on s'y transforme, et la passion, qui ne meurt jamais en
nous, se porte vers les objets de nos recherches. Je comprends a present
pourquoi certaines personnes--et pourquoi ne nommerais-je pas M. de
Valvedre?--ont pu ne pas devenir materialistes en etudiant les secrets
de la matiere. Et puis je me suis rappele souvent ce que souvent tu me
disais autrefois. Tu me trouvais trop ardent pour etre un ecrivain
litteraire; tu me disais que je ferais de la poesie folle, de l'histoire
fantastique ou de la critique emportee, partiale, nuisible par
consequent. Oh! je n'ai rien oublie, tu vois. Tu disais que les
organisations tres-vivaces ont souvent en elles une fatalite qui les
entraine a l'exuberance, et qui hate ainsi leur destruction prematuree;
qu'un bon conseil a suivre serait celui qui me detournerait de ma propre
excitation pour me jeter dans une sphere d'occupations serieuses et
calmantes; que les artistes meurent souvent ou s'etiolent par l'effet
des emotions exclusivement cherchees et developpees; que les spectacles,
les drame
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