tresor, je vous l'ai deja dit,
il y a longtemps. Je ne sais si vous lui plairez. Il y a tant de calme
dans la chastete de ces deux filles! mais il y a un grand moyen pour
etre aime, vous le savez: c'est d'aimer soi-meme, d'aimer avec le coeur,
avec la foi, avec la conscience, avec tout son etre, et vous n'avez pas
encore aime ainsi, je le sais!
Il me quitta, et je me sentis vivifie et comme beni par ses paroles. Cet
homme tenait mon ame dans ses mains, et je ne vivais plus, pour ainsi
dire, que de son souffle bienfaisant. En meme temps que chaque apercu de
son lumineux esprit m'ouvrait les horizons du monde naturel et celeste,
chaque elan de son coeur genereux et pur fermait une plaie ou ranimait
une faculte du mien.
Je l'ouvris bientot, ce coeur renouvele, a mon cher Henri. Je lui dis
que j'aimais Rose, mais que jamais je ne le laisserais soupconner a
celle-ci sans l'autorisation de sa famille.
--Allons donc! dit Obernay en m'embrassant, voila ce que j'attendais! Eh
bien, la famille consent et desire. L'enfant t'aimera quand elle saura
que tu l'aimes. C'est ainsi chez nous, vois-tu! On ne se jette pas dans
les reves romanesques, meme quand on est dispose a se laisser
convaincre; on attend la certitude, et on ne palit ni ne maigrit en
attendant! Et pourtant on s'aime longtemps, toujours! Vois mon pere et
ma mere, vois Paule et moi... Ah! que Valvedre eut ete heureux!...
--S'il eut epouse Adelaide? Je me le suis dit cent fois!
--Tais-toi! dit Obernay en me serrant le bras avec force. Jamais un mot
la-dessus...
Je m'etonnais, il m'imposa encore silence avec autorite.
J'y revins pourtant; le lendemain de mon mariage avec ma bien-aimee
Rose, j'insistai. J'etais si heureux! J'aimais enfin, et je combattais
presque la passion, tant son frere aine, l'amour, me paraissait plus
beau et plus vrai. Aussi, loin d'etre porte a l'egoisme du bonheur, je
sentais l'ardent besoin de voir heureux tous ceux que j'aimais, surtout
Valvedre, celui a qui je devais tout, celui qui m'avait sauve du
naufrage, celui qui, par moi blesse au coeur, m'avait tendu sa main
liberatrice.
Obernay, vaincu par mon affection, me repondit enfin:
--Tu as cru deviner que, depuis longtemps, bien longtemps deja, dix ans
peut-etre, Valvedre et Adelaide s'aimaient d'un grand amour; tu ne t'es
peut-etre pas trompe. Et moi aussi, j'ai eu cent fois, mille fois cette
pensee, qui, en de certains moments, devenait une presque certitude.
Valvedre a pres
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