s, les operas, les poemes et les romans etaient, pour les
sensibilites trop aiguisees, comme une huile sur l'incendie; enfin que,
pour etre un artiste ou un poete durable et sain, il fallait souvent
retremper la logique, la raison et la volonte dans des etudes d'un ordre
severe, meme s'astreindre aux commencements arides des choses. J'ai
suivi ton conseil sans m'apercevoir que je le suivais, et, quand j'ai
commence a en recueillir le fruit, j'ai trouve que tu ne m'avais pas
assez dit combien ces etudes sont belles et attrayantes. Elles le sont
tellement, mon ami, que j'ai pris les arts d'imagination en pitie
pendant quelque temps... ferveur de novice que tu m'aurais pardonnee;
mais, aujourd'hui, tout en jouissant en artiste des rayons que la
science projette sur moi, je sens que je ne me detacherai plus d'une
branche de connaissances qui m'a rendu la faculte de raisonner et de
reflechir: bienfait inappreciable, qui m'a preserve egalement de l'abus
et du degout de la vie! A present, mon ami, tu sais que j'approche du
terme de ma captivite...
--Oui, reprit-il, je sais qu'avec des appointements qui ont ete
longtemps bien minimes, tu as reussi a t'acquitter peu a peu avec
Moserwald, lequel declare avec raison que c'est un tour de force, et que
tu as du t'imposer, pendant les premieres annees surtout, les plus dures
privations. Je sais que tu as perdu ta mere, que tu as tout quitte pour
elle, que tu l'as soignee avec un devouement sans egal, et que, voyant
ton pere tres-age, tres-use et tres-pauvre, tu t'es senti bien heureux
de pouvoir doubler pour lui, par un placement en viager, a son insu, la
petite somme qu'il te reservait, et qu'il t'avait confiee pour la faire
valoir. Je sais aussi que tu as eu des moeurs austeres, et que tu as su
te faire apprecier pour ton savoir, ton intelligence et ton activite au
point de pouvoir pretendre maintenant a une tres-honorable et
tres-heureuse existence. Enfin, mon ami, en approchant d'ici, j'ai su et
j'ai vu que tu etais aime a l'adoration par les ouvriers que tu
diriges,... qu'on te craignait un peu,... il n'y a pas de mal a cela,
mais que tu etais un ami et un frere pour ceux qui souffrent. Le pays
est en ce moment plein de louanges sur une action recente...
--Louanges exagerees; j'ai eu le bonheur d'arracher a la mort une pauvre
famille.
--Au peril de ta vie, peril des plus imminents! On t'a cru perdu.
--Aurais-tu hesite a ma place?
--Je ne crois pas! Aussi je ne te fais
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