, soulagee? Vous respirez bien?
Elle souleva sa poitrine sans effort, comme allegee delicieusement du
poids de l'agonie.
C'etait le dernier soupir. Valvedre, qui l'avait senti approcher, et
qui, par son air de conviction et de joie, en avait ecarte la terrible
prevision, deposa un long baiser sur le front, puis sur la main droite
de la morte. Il reprit a son doigt l'anneau nuptial qu'elle avait cesse
longtemps de porter, mais qu'elle avait remis la veille; puis il sortit,
il tira derriere lui les verrous du salon, et nous cacha le spectacle de
sa douleur.
Je ne le revis plus. Il parla avec Moserwald, qui se chargea de remplir
ses intentions. Il le priait de faire embaumer et transporter le corps
de sa femme a Valvedre. Il me demandait pardon de ne pas me dire adieu.
Il s'eloigna aussitot, sans qu'on put savoir quelle route de terre ou de
mer il avait prise. Sans doute, il alla demander aux grands spectacles
de la nature la force de supporter le coup qui venait de dechirer son
coeur.
J'eus l'atroce courage d'aider Moserwald a remplir la tache funebre qui
nous etait imposee: cruelle amertume infligee par une ame forte a une
ame brisee! Valvedre me laissait le cadavre de sa femme apres m'avoir
repris son coeur et sa foi au dernier moment.
J'accompagnai le depot sacre jusqu'a Valvedre. Je voulus revoir cette
maison vide a jamais pour moi, ce jardin toujours riant et magnifique
devant le silence de la mort, ces ombrages solennels et ce lac argente
qui me rappelaient des pensees si ardentes et des reves si funestes. Je
revis tout cela la nuit, ne voulant etre remarque de personne, sentant
que je n'avais pas le droit de m'agenouiller sur la tombe de celle que
je n'avais pu sauver.
Je pris la conge de Moserwald, qui voulait me garder avec lui, me faire
voyager, me distraire, m'enrichir, me marier, que sais-je?
Je n'avais plus le coeur a rien, mais j'avais une dette d'honneur a
payer. Je devais plus de vingt mille francs que je n'avais pas, et c'est
a Moserwald precisement que je les devais. Je me gardai bien de lui en
parler; il se fut reellement offense de ma preoccupation, ou il m'eut
trouve les moyens de m'acquitter en se trichant lui-meme. Je devais
songer a gagner par mon travail cette somme, minime pour lui, mais
immense pour moi qui n'avais pas d'etat, et lourde sur ma conscience,
sur ma fierte, comme une montagne.
J'etais tellement ecrase moralement, que je n'entrevoyais aucun travail
d'imagination don
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