iait que,
n'etant plus aimee de moi, elle renoncait a me retenir a ses cotes. Elle
me demanda de lui faire arranger Valvedre, qu'elle avait vu un jour en
passant, et qu'elle avait declare triste et vulgaire. Elle voulait vivre
maintenant la avec mes soeurs, qui s'y etaient fixees. Je l'y conduisis,
je fis du petit manoir une riche residence, et je m'y etablis avec elle.
"Mon ami, tu le comprends maintenant, il n'y avait plus d'enthousiasme,
plus d'espoir, plus d'illusions, plus de flamme dans mon affection pour
elle; mais l'amitie fidele, un devouement toujours entier, un grand
respect de ma parole et de ma dignite, une compassion paternelle pour
cette faible et violente nature, un amour immense pour mes enfants avec
une tendresse plus raffinee peut-etre pour celui que ma femme n'aimait
pas, c'en etait bien assez pour me retenir a Valvedre. J'y passai une
annee qui ne fut pas perdue pour ma jeune soeur et pour mes fils. Je
donnai a Paule une direction d'idees et de gouts qu'elle a
religieusement suivie. J'enseignai a ma soeur ainee la science des
meres, que ma femme n'avait pas et ne voulait pas acquerir. Je
travaillais aussi pour mon compte, et, triste comme un homme qui a perdu
la moitie de son ame, je m'attachais a sauver le reste, a ne pas
souffrir en egoiste, a servir l'humanite dans la mesure de mes forces en
me devouant au progres des connaissances humaines, et ma famille, en
l'abritant sous la tendresse profonde et sous l'apparente serenite du
pere de famille.
"Tout alla bien autour de moi, excepte ma femme, que l'ennui consumait,
et qui, se refusant a mon affection toujours loyale, se plaisait a se
proclamer veuve et desheritee de tout bonheur. Un jour, je m'apercus
qu'elle me haissait, et je me renfermai dans le role d'ami sans rancune
et sans susceptibilite, le seul role qui put des lors me convenir. Un
autre jour, je decouvris qu'elle aimait ou croyait aimer un homme
indigne d'elle. Je l'eclairai sans lui laisser soupconner que j'eusse
constate son deplorable engouement. Elle fut effrayee, humiliee; elle
rompit brusquement avec sa chimere, mais elle ne me sut aucun gre de ma
delicatesse. Loin de la, elle fut offensee de mon apparente confiance en
elle. Elle eut ete consolee de son mecompte en me voyant jaloux.
Indignee de ne pouvoir plus me faire souffrir ou de ne pas reussir a me
le faire avouer, elle chercha d'autres distractions d'esprit. Elle
s'eprit tour a tour de plusieurs hommes a qui elle ne s'aba
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