etait-il malade ou absent? etait-il mort ou
ruine? Et qu'allions-nous devenir, si cette ressource supreme nous
manquait?
J'avais fait d'heroiques efforts pour travailler, mais je n'avais pu
rien continuer, rien completer. Alida, malade d'esprit autant que de
corps, ne me laissait pas un moment de calme. Elle ne pouvait supporter
la solitude. Elle me poussait au travail; mais, quand j'etais sorti de
sa chambre, elle divaguait, et Bianca venait me chercher bien vite.
J'avais essaye de travailler aupres d'elle, c'etait tout aussi
impossible. J'avais toujours les yeux sur les siens, tremblant quand je
les voyais briller de fievre ou se fixer, eteints, comme si la mort
l'eut deja saisie. D'ailleurs, j'avais bien reconnu une terrible verite:
c'est que ma plume, au point de vue lucratif, etait pour le moment, pour
toujours peut-etre, improductive. Elle eut pu me nourrir tres-humblement
si j'eusse ete seul; mais il me fallait trois mille francs par mois...
Moserwald n'avait rien exagere.
Apres avoir epuise tous les mensonges imaginables pour faire prendre
patience a ma malheureuse amie, il me fallut lui avouer que j'attendais
une lettre de credit de Moserwald pour etre a meme de la conduire en
France. Je lui cachai que j'attendais cette lettre depuis si longtemps
deja, que je n'osais plus l'esperer. Je m'etais decide a l'horrible
humiliation d'ecrire ma detresse a Obernay. Lui aussi etait-il absent?
Mais sans doute il allait repondre. Le temps de l'espoir n'etait pas
epuise de ce cote-la. Dans le doute, je surmontai la douleur de demander
a mes parents un sacrifice: quelques jours de patience, et une reponse
quelconque allait arriver. Je suppliai Alida de ne prendre aucune
inquietude.
Elle eut, ce jour-la, son dernier courage. Elle sourit de ce sourire
dechirant que je ne comprenais que trop. Elle me dit qu'elle etait
tranquille et qu'elle etait, d'ailleurs, resignee a accepter les dons de
son mari comme un pret que je serais certainement a meme de lui faire
rembourser plus tard. Elle menageait ainsi ma fierte; elle m'embrassa et
s'endormit ou feignit de s'endormir.
Je me retirai dans la chambre voisine. Depuis que je la voyais
s'eteindre, je ne quittais plus la maison qu'elle habitait. Au bout
d'une heure, je l'entendis qui causait avec Bianca. Cette fille, peu
scrupuleuse sur le chapitre de l'amour, mais d'un devouement admirable
pour sa maitresse, qui la maltraitait et la gatait tour a tour,
s'efforcait en ce mome
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