e supreme appel de mon
agonie. Elle haissait la campagne, elle s'y etait toujours deplu. Sous
le ciel imposant de l'Afrique, en presence d'une nature peu soumise
encore a la civilisation europeenne, tout lui semblait sauvage et
terrifiant. Le rugissement lointain des lions, qui, a cette epoque, se
faisait encore entendre autour des lieux habites, la faisait trembler
comme une pauvre feuille, et aucune condition de securite ne pouvait lui
procurer le sommeil. En d'autres moments, sous l'empire d'autres
dispositions d'esprit, elle croyait entendre la voix de ses enfants
venant la voir, et elle s'elancait ravie, folle, bientot desesperee en
regardant les petits Maures qui jouaient devant sa porte.
Je cite ces exemples d'hallucination entre mille. Voyant qu'elle se
deplaisait a ***, je la ramenai a Alger, au risque de n'y pouvoir garder
l'incognito. A Alger, elle fut ecrasee par le climat. Le printemps, deja
un ete dans ces regions chaudes, nous chassa vers la Sicile, ou, pres de
la mer, a mi-cote des montagnes, j'esperais trouver pour elle un air
tiede et quelques brises. Elle s'amusa quelques instants de la nouveaute
des choses, et bientot je la vis deperir encore plus rapidement.
--Tiens, me dit-elle, dans un acces d'abattement invincible, je vois
bien que je me meurs!
Et, mettant ses mains pales et amaigries sur ma bouche:
--Ne te moque pas, ne ris pas! je sais ce que cette gaiete te coute, et
que, la nuit, seul avec la certitude inevitable, tu pleures ton rire!
Pauvre cher enfant, je suis un fleau dans ta vie et un fardeau pour
moi-meme. Tu ferais mieux, pour nous deux, de me laisser mourir bien
vite.
--Ce n'est pas la maladie, lui repondis-je navre de sa clairvoyance,
c'est le chagrin ou l'ennui qui te consume. Voila pourquoi je ris de tes
maux physiques pretendus incurables, tandis que je pleure de tes
souffrances morales. Pauvre chere ame, que puis-je donc faire pour toi?
--Une seule et derniere chose, dit-elle: je voudrais embrasser mes
enfants avant de mourir.
--Tu embrasseras tes enfants, et tu ne mourras pas! m'ecriai-je.
Et je feignis de tout preparer pour le depart; mais, au milieu de ces
preparatifs, je tombais brise de decouragement. Avait-elle la force de
retourner a Geneve? n'allait-elle pas mourir en route? Une autre terreur
s'emparait de moi, je n'avais plus d'argent. J'avais ecrit a Moserwald
de m'en preter encore, et je ne pouvais douter de sa confiance en moi.
Il n'avait pas repondu:
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