regrettant Adelaide malgre tout, nous allons nous donner le baiser
d'adieu supreme... Tiens, cela vaut mieux que l'avenir qui nous
attendait certainement, et je suis contente de mourir...
En parlant ainsi, elle fondait en larmes. Bianca pleurait aussi, sans
rien trouver pour la consoler, et moi, j'etais paralyse par l'epouvante
et la douleur. Quoi! c'etait la le dernier mot de cette passion funeste!
Alida mourait en pleurant son mari, et en disant: "L'_autre_ ne m'aime
pas!" Certes, en voulant l'amour d'une femme dont l'epoux etait sans
reproche, j'avais cede a une mauvaise et coupable tentation, mais comme
j'etais puni!
Je fis un supreme effort, le plus meritoire de ma vie peut-etre: je
m'approchai de son lit, et, sans me plaindre de rien pour mon compte, je
reussis a la calmer.
--Tout ce que tu viens de rever, lui dis-je, c'est l'effet de la fievre,
et tu ne le penses pas. D'ailleurs, tu le penserais, que je n'y voudrais
pas croire. Ne te contrains donc plus devant moi, dis tout ce que tu
voudras, c'est la maladie qui parle. Je sais qu'a d'autres heures tu
verras autrement mon coeur et le tien. Que tu croies en Dieu, que tu
rendes justice a Valvedre, que tu te reproches de n'avoir pas compris un
mari qui n'avait que des vertus et qui savait peut-etre aimer mieux que
tout le monde, c'est bien, j'y consens, et je le savais. Ne m'as-tu pas
dit cent fois que cette croyance et ce remords te faisaient du bien, et
que tu m'en offrais la souffrance comme un merite et une reconciliation
avec toi-meme? Oui, c'etait bien, tu etais dans le vrai; mais pourquoi
perdrais-tu le fruit de ces bonnes inspirations? Pourquoi exciter ton
imagination pour t'oter justement a toi-meme le merite du repentir et
pour m'arracher l'esperance de ta guerison? Tout est consomme. Valvedre
a souffert, mais il est resigne depuis longtemps: il voyage, il oublie.
Tes enfants sont heureux, et tu vas les revoir; tes amis le pardonnent,
si tant est qu'ils aient quelque chose de personnel a te pardonner. Ta
reputation, si tant est qu'elle soit compromise par ton absence, peut
etre rehabilitee, soit par ton retour, soit par notre union. Rends donc
justice a ta destinee et a ceux qui t'aiment. Moi, soumis a tout, je
serai pour toi ce que tu voudras, ton mari, ton amant ou ton frere.
Pourvu que je te sauve, je serai assez recompense. Tu peux meme penser
ce que tu as dit, ne pas croire au _second amour_, et ne m'accorder que
le reste d'une ame epuisee par le
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