norable s'il me voit renoncer
volontairement a ce qu'il appelle mon caprice. Eh bien, que veux-tu
faire? Reponds! reponds donc! a quoi songes-tu?
Il est des moments dans les plus fatales destinees ou la Providence nous
tend la planche de salut et semble nous dire: "Prends-la, ou tu es
perdu." J'entendais cette voix mysterieuse au-dessus de l'abime; mais le
vertige de l'abime fut plus fort et m'entraina.
--Alida, m'ecriai-je, tu ne me fais pas cette offre-la pour que je
l'accepte? Tu ne le desires pas, tu n'y comptes pas, n'est-il pas vrai?
--Tu m'as comprise, repondit-elle en se mettant a genoux devant moi, les
mains dans mes mains et comme dans l'attitude du serment. Je
t'appartiens, et le reste du monde ne m'est rien! Tu es tout pour moi:
mon pere et ma mere qui m'ont quittee, mon mari que je quitte, et mes
amis qui vont me maudire, et mes enfants qui vont m'oublier. "Tu es mes
freres et mes soeurs, comme dit le poete, et Ilion, ma patrie que j'ai
perdue!" Non! je ne reviendrai plus sur mes pas, et, puisqu'il est dans
ma destinee de mal comprendre les devoirs de la famille et de la
societe, au moins j'aurai consacre ma destinee a l'amour! N'est-ce donc
rien, et celui qui me l'inspire ne s'en contentera-t-il pas? Si cela
est, si pour toi je suis la premiere des femmes, que m'importe d'etre la
derniere aux yeux de tous les autres? Si mes torts envers eux me sont
des merites aupres de toi, de quoi aurais-je a me plaindre? Si l'on
souffre la-bas et si je souffre de faire souffrir, j'en suis fiere,
c'est une expiation de ces fautes passees que tu me reprochais, c'est ma
palme de marytre que je depose a tes pieds.
Une seule chose peut m'excuser d'avoir accepte le sacrifice de cette
femme passionnee, c'est la passion qu'elle m'inspira des ce moment, et
qui ne fut plus ebranlee un seul jour. Certes, je suis bien assez
coupable sans ajouter au fardeau de ma conscience. Ma fuite avec elle
fut une mauvaise inspiration, une lache audace, une vengeance, ou du
moins une reaction aveugle de mon orgueil froisse. Meilleure que moi,
Alida avait pris mon devouement au serieux, et, si sa foi en moi fut un
acces de fievre, la fievre dura et consuma le reste de sa vie. En moi,
la flamme fut souvent agitee et comme battue du vent; mais elle ne
s'eteignit plus. Et ce ne fut plus la vanite seule qui me soutint, ce
fut aussi la reconnaissance et l'affection.
Des lors il se fit une sorte de calme dans notre vie, calme trompeur et
qui
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