voila pourquoi je veux que tu me laisses venir a toi,
depouillee de tout autre bonheur que toi-meme...
Oui, je le crois aujourd'hui, moi aussi, que l'infortunee Alida
proclamait un effrayant sophisme, que Valvedre avait raison contre elle,
que le devoir accompli rend l'amour plus fervent, et que lui seul le
rend durable, tandis que le remords desseche ou tue; mais, dans le
triomphe de la passion, dans l'ivresse de la reconnaissance, j'ecoutais
Alida comme l'oracle des divins mysteres, comme la pretresse du dieu
veritable, et je partageais son reve immense, son aspiration vers
l'impossible. Je me disais aussi qu'il n'y a pas qu'une seule route pour
s'elever vers le vrai; que, si la perfection semble etre dans la
religion du droit et dans les sanctifiantes vertus de la famille, il y a
un lieu de refuge, une oasis, un temple nouveau pour ceux dont la
fatalite a renverse les autels et les foyers; que ce droit d'asile sur
les hauteurs, ce n'etait pas la froide abstinence, la mort volontaire,
mais le vivifiant amour. Transfuges de la societe, nous pouvions encore
batir un tabernacle dans le desert et servir la cause sublime de
l'ideal. N'etions-nous pas des anges en comparaison de ces viveurs
grossiers qui se depravent dans l'abus de la vie positive? Alida,
brisant toute son existence pour me suivre, n'etait-elle point digne
d'une tendre et respectueuse pitie? Moi-meme, acceptant avec energie son
passe douteux et le deshonneur qu'elle bravait, n'etais-je pas un homme
plus delicat et plus noble que celui qui cherche dans la debauche ou
dans la cupidite l'oubli de son reve et le debarras de son orgueil?
Mais l'opinion, jalouse de maintenir l'ordre etabli, ne veut pas qu'on
s'isole d'elle, et elle se montre plus tolerante pour ceux qui se
donnent au vice facile, au travers repandu, que pour ceux qui se
recueillent et cherchent des merites qu'elle n'a pas consacres. Elle est
inexorable pour qui ne lui demande rien, pour les amants qui ne veulent
pas de son pardon, pour les penseurs qui, dans leur entretien avec Dieu,
ne veulent pas la consulter.
Nous entrions donc, Alida et moi, non pas seulement dans la solitude du
fait, mais dans celle du sentiment et de l'idee. Restait a savoir si
nous etions assez forts pour cette lutte effroyable.
Nous nous fimes cette illusion, et, tant qu'elle dura, elle nous
soutint; mais il faut, ou une grande valeur intellectuelle, ou une
grande experience de la vie pour demeurer ainsi, sans enn
|