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que le caprice et l'imprevu de votre existence actuelle ne sont pas
faits pour rendre digne de vous et de moi.
"Et, comme elle s'emportait, je crus devoir lui dire encore:
"--Tenez, ma pauvre chere enfant, vous etes devoree par votre
imagination, et vous devorez tout autour de vous. Si vous continuez
ainsi, vous arriverez a absorber en vous toute la vie des autres sans
leur rien donner en echange, pas une lumiere, pas une douceur vraie, pas
une consolation durable. On vous a appris le metier d'idole, et vous
auriez voulu me l'enseigner aussi; mais les idoles ne sont bonnes a
rien. On a beau les parer et les implorer, elles ne fecondent rien et ne
sauvent personne. Ouvrez les yeux, voyez le neant ou vous laissez
flotter une intelligence exquise, l'orage continuel par lequel vous
laissez fletrir meme votre incomparable beaute, la souffrance que vous
imposez sans remords a toutes mes aspirations d'homme honnete et
laborieux, l'abandon de toutes choses autour de nous..., a commencer par
notre plus cher tresor, par notre enfant, que vous devorez de caresses,
et dont vous etouffez d'avance les instincts genereux et forts en vous
soumettant a ses plus nuisibles fantaisies. Vous etes une femme
charmante que le monde admire et entraine; mais, jusqu'ici, vous n'etes
ni une epouse devouee, ni une mere intelligente. Prenez-y garde et
reflechissez!
"Au lieu de reflechir, elle voulut se tuer. Des heures et des jours se
passerent en miserables discussions ou toute ma patience, toute ma
tendresse, toute ma raison et toute ma pitie vinrent se briser devant
une invincible vanite blessee et a jamais saignante.
"Oui, voila le vice de cette organisation si seduisante. L'orgueil est
immense et jette comme une paralysie de stupidite sur le raisonnement.
Il est aussi impossible a ma femme de suivre une deduction elementaire,
meme dans la logique de ses propres sentiments, qu'il le serait a un
oiseau de soulever une montagne. Et cela, j'en avais devine, j'en ai
constate la cause: c'est cette sorte d'atheisme qui la desseche. Elle
vit aujourd'hui dans les eglises, elle essaye de croire aux miracles,
elle ne croit reellement a rien. Pour croire, il faut reflechir, elle ne
pense meme pas. Elle invente et divague, elle s'admire et se deteste,
elle construit dans son cerveau des edifices bizarres qu'elle se hate de
detruire: elle parle sans cesse du beau, elle n'en a pas la moindre
notion, elle ne le sent pas, elle ne sait pas seulement
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