ge. La certitude scientifique a comme enivre les
philosophes du XVIIIe siecle, la plupart du moins, et leur a donne le
dogmatisme intemperant le plus desagreable, le plus dangereux aussi.
Nous y reviendrons assez. Je ne sais si c'est par peur du dogmatisme que
Bayle s'est tenu a l'ecart des sciences, ou si c'est son incompetence
scientifique qui l'a maintenu dans une sage et scrupuleuse reserve; mais
toujours est-il qu'il n'a rien de l'infaillibilisme d'un nouveau genre
que le XVIIIe siecle a apporte au monde, que le pontificat scientifique
lui est inconnu, et que, rebelle a l'ancienne revelation, ou il n'a
pas assez vecu, ou il n'avait pas l'esprit assez prompt a croire pour
accepter la nouvelle.
Aussi toutes ses conclusions, ou plutot tous les points de repos de son
esprit, sont-ils toujours dans des sentiments et opinions infiniment
moderes. En general sa methode, ou sa tendance, consiste a montrer
aux hommes que sans le savoir, ni le vouloir, ils sont extremement
sceptiques, et beaucoup moins attaches qu'ils ne l'estiment aux
croyances qu'ils aiment le plus. Il excelle a extraire, avec une lente
dexterite, de la pensee de chacun le principe d'incroyance qu'elle
renferme et cache, et non point a arracher, comme Pascal, mais a derober
doucement a chacun une confession d'infirmite dont il fait un aveu de
scepticisme. Il tire subtilement, pour ainsi dire, et mollement,
le catholicisme au jansenisme, le jansenisme au protestantisme, le
protestantisme au socinianisme et le socinianisme a la libre pensee. Il
aimera, par exemple, a nous montrer combien la pensee de saint Augustin
est voisine de celle de Luther, combien il etait necessaire que le
calvinisme finit par se dissoudre dans le socinianisme, et comment,
apres le socinianisme, il n'y a plus de mysteres, c'est-a-dire plus de
religion.--Il n'y a pas jusqu'a Nicole qu'il n'engage nonchalamment,
qu'il ne montre, sans en avoir l'air, comme s'engageant dans le chemin
de pyrrhonisme.
Non point "qu'en fait", je l'ai indique, il ne voie d'infinies distances
entre les hommes; mais c'est entre les hommes que sont ces espaces, non
point du tout entre les doctrines. Ce sont abimes que creuse entre les
hommes leur passion maitresse, qui est de n'etre point d'accord; mais,
en raison, il n'y a point de telles divergences, et leurs passions
desarmant, leurs vanites disparues, ils s'apercevraient qu'ils pensent
a peu pres la meme chose. Il est vrai que jamais les passions ne
desa
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