et personne n'a cru plus
fort et n'a dit plus souvent que l'humanite vit de prejuges, qui,
seulement, se succedent les uns aux autres et se transforment, comme de
sa substance intellectuelle.
Bayle est encore d'une autre famille que les philosophes du XVIIIe
siecle en ce qu'il adore la verite. J'ai dit qu'il n'a point de passion;
il a celle-la. Aucune rancune, aucune blessure ne peut gagner sur lui
qu'il croie vrai ce qu'il croit faux. Il a des sentiments tres vifs
contre le catholicisme, cela est certain; jamais cela ne le conduira a
faire l'eloge du paganisme et du merveilleux esprit de tolerance qui
animait les religions antiques. Il laisse ce panegyrique a faire a
Voltaire. Il sait, lui, qu'il est difficile a une doctrine d'etre
tolerante quand elle a la force, et qu'en tout cas, si cela doit se voir
un jour, il est hasardeux d'affirmer que cela se soit jamais vu.--Il
penche tres sensiblement pour le protestantisme, et jamais il n'a
dissimule l'intolerance du protestantisme. Il insiste meme avec
complaisance sur celle de Jurieu, parce que, sans qu'on ait jamais tres
bien su pourquoi, il a contre Jurieu une petite inimitie personnelle;
mais d'une facon generale, et qu'il s'agisse ou de Luther ou de Calvin,
ou meme d'Erasme, la rectitude de sa loyaute intellectuelle et de son
bon sens fait qu'il signale l'esprit d'intolerance partout ou il est. Il
l'eut peut-etre trouve jusque dans l'_Encyclopedie_, et l'eut denonce.
Je dirai meme que j'en suis sur.
Il faut indiquer un trait tout special par ou Bayle se distingue
des heritiers qui l'ont tant aime. L'intrepidite d'affirmation des
philosophes du XVIIIe siecle leur vient, pour la plupart, de leurs
connaissances scientifiques et de la confiance absolue qu'ils y ont
mise. Bayle ne s'est pas occupe de sciences, presque aucunement, et
sa _Dissertation sur les cometes_ est un pretexte a philosopher, non
proprement un ouvrage scientifique. Dans son _Dictionnaire_, deux
categories d'articles sont d'une regrettable et tres significative
secheresse: c'est a savoir ceux qui concernent les hommes de lettres et
ceux qui concernent les savants. Encore sur les hommes de lettres, si
sa critique est superficielle, hesitante, ou, pour mieux dire, assez
indifferente, du moins est-il au courant. Pour ce qui est des savants,
il me semble bien qu'il n'y est pas. Il en est reste a Gassendi. Inutile
de dire que c'est la une lacune facheuse. A un certain point de vue ce
lui a ete un avanta
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