MAURICE
--Tu pourrais dire notre position... Ce que tu m'as dit me fait du bien;
je ne me sens plus aussi desespere; peut-etre, en effet, serai-je moins
difforme dans quelque temps.
Francois resta longtemps chez Maurice; quand il le quitta, le desespoir
des premiers moments etait calme; il promit a Francois d'esperer, de se
resigner et d'obeir docilement aux prescriptions du medecin, quand meme
il ordonnerait les promenades a pied et en voiture.
Adolphe ne parut pas, tant que Francois resta chez Maurice; il n'avait
pas encore vu son frere leve. Quand Maurice fut seul, Adolphe entra; il
poussa un cri en voyant la difformite de Maurice.
ADOLPHE
--Mon pauvre Maurice, que tu es laid! Quelle tournure tu as! Quelles
epaules! Quelles jambes! Et ta figure!... En verite, je te plains! c'est
affreux! c'est horrible!
MAURICE, tristement.
--Je le sais, Adolphe; je le vois sans que tu me le dises.
ADOLPHE
--Toi qui te moquais tant de Francois, tu es bien pis que lui! Si tu
voyais la figure que tu as!
MAURICE
--Je l'ai vue dans la glace.
ADOLPHE
--Et tu n'as pas eu peur en te voyant?
MAURICE
--Non, j'ai pleure... Et le bon Francois a pleure avec moi.
ADOLPHE
--Ce qui veut dire que je dois pleurer aussi... Je t'en demande bien
pardon; je suis tres fache de ce qui t'arrive, mais il m'est impossible
de pleurer comme un enfant parce que tu as eu le malheur de devenir
difforme!
MAURICE
--Comme c'est mal ce que tu dis, Adolphe! Francois m'a console, m'a
encourage; et toi, qui es mon frere et qui devrais me plaindre, tu ne
trouves rien a dire pour me consoler de ce grand malheur.
ADOLPHE
--Francois a pleure avec toi parce qu'il est bossu, lui; mais moi, que
veux-tu que je fasse, que je dise?
MAURICE
--Adolphe. Laisse-moi seul, je t'en prie; ton indifference me peine;
elle m'afflige pour toi.
ADOLPHE
--Pour moi? tu es bien bon! Je suis tres fache de ce qui t'arrive, mais
quant a pleurer et en mourir de chagrin, je laisse cette satisfaction
au sensible Francois. Adieu, je sors avec papa; nous allons t'acheter
quelque chose pour te consoler; nous serons de retour dans une heure.
Adolphe sortit. Maurice joignit les mains avec un geste de desespoir
et gemit tout haut sur l'insensibilite de son frere; il en fit la
comparaison avec Francois, et il se demanda d'ou pouvait venir cette
difference. Il crut comprendre qu'elle provenait de l'education
differente qu'ils avaient recue: Ad
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