ice resta seul en face de la glace; plus il examinait ses
difformites nouvelles, plus elles lui paraissaient hideuses et
repoussantes; sa paleur rendait plus apparentes les coutures et les
plaques rouges de son visage; sa faiblesse faisait ployer ses reins et
ses jambes. Pendant qu'il continuait l'examen de sa personne, la porte
s'ouvrit doucement, et Francois entra. Toujours attentif a eviter ce qui
pouvait peiner ou blesser les autres, il reprima, non sans peine, un cri
de surprise et de frayeur a la vue de l'infortune Maurice, qu'il devina
plus qu'il ne le reconnut. Maurice se retourna, l'apercut et examina
l'impression qu'il produisait sur Francois. Il ne put decouvrir que
l'expression d'une profonde pitie et d'un sincere attendrissement.
FRANCOIS
--Mon pauvre ami! Mon pauvre Maurice! Quel malheur! Mon Dieu, quel
malheur!
Francois soutint dans ses bras Maurice pret a defaillir; il le fit
asseoir, resta pres de lui, et pleura avec lui et sur lui.
--Du courage, mon ami, lui dit-il apres quelques instants; ne perds pas
l'espoir de redevenir ce que tu etais. Tu es faible a present, tu ne
peux pas te redresser ni te tenir sur tes jambes; dans quelques jours,
quelques semaines au plus, tu retrouveras des forces et tu te tiendras
droit comme avant.
MAURICE
--Non, non, Francois; je sens que je ne me tiendrai jamais droit. Et mes
jambes?... Comment se redresseraient-elles? elles sont contournees et
tortues. Et l'epaule? Comment s'aplatirait-elle et redeviendrait-elle ce
qu'elle etait? Regarde-moi et regarde-toi. Eh bien! moi qui me suis tant
moque de ton infirmite, qui t'ai ridiculise et tourmente, j'en suis
reduit a envier ton apparence. Je n'oserai jamais me montrer; je ne
sortirai plus de ma chambre.
FRANCOIS
--Tu auras tort, mon pauvre Maurice; tu te rendras malade, tu
t'ennuieras horriblement et tu souffriras bien plus.
MAURICE
--Crois-tu que ce soit agreable de voir tout le monde rire et chuchoter,
d'entendre crier les petits enfants: Un bossu, un bossu! Venez voir un
bossu!
FRANCOIS. souriant.
--Ce n'est pas agreable, je le sais mieux que tout antre; c'est triste
et penible. Mais on se resigne a la volonte du bon Dieu et on s'y
habitue un peu. Et puis, comme on est heureux quand on trouve quelqu'un
de bon qui vous temoigne de la pitie, de l'amitie, qui prend votre
defense, qui vous aime parce que vous etes infirme! Ce bonheur-la,
Maurice, compense ce qu'il y a de penible dans ma position.
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