ons le theatre des
Grecs, nous pouvons dire que nous n'avons aucune idee, ou tout au
moins que des idees excessivement confuses, de ce que pouvait etre la
representation des tragedies d'Eschyle, de Sophocle et d'Euripide, ou
celle des comedies d'Aristophane. C'est uniquement par leur valeur
intrinseque qu'elles s'imposent a notre admiration, et c'est avec raison
que nous les considerons comme des modeles presque inimitables, sans que
nous ayons besoin de tenir compte d'un effet representatif que nous ne
pouvons imaginer qu'a grand renfort d'erudition, sans jamais pouvoir
etre sur de l'apprecier a sa juste valeur.
Il en est a peu pres de meme du theatre des Espagnols, aussi bien que de
celui des Anglais et des Allemands. Bien que les sujets en soient pris
dans un monde en tout moins eloigne du notre et qui est celui ou se
meuvent souvent encore nos personnages de theatre, ce n'est nullement
dans leur effet representatif que nous cherchons et que nous trouvons
les justes motifs de leur renommee. Nous n'en sommes que tres rarement
les spectateurs, et c'est uniquement comme lecteurs que nous apprenons a
les connaitre et que nous les jugeons. C'est bien dans ce cas l'esprit
seul qui en goute la poesie, sans que nos yeux soient dupes des
seductions de la mise en scene. Le theatre francais lui-meme n'echappe
pas au meme phenomene. La representation l'amoindrit presque toujours,
en attenue les proportions psychologiques et en rapetisse sensiblement
les heros. Que serait-ce si nous tenions compte du maigre appareil dont,
jusqu'a la fin du XVIIIe siecle, on entourait la representation de notre
theatre classique! L'effet representatif des tragedies de Corneille
et de Racine n'a donc que peu d'influence sur l'admiration que nous
eprouvons pour elles. Bien au contraire, la representation nous apporte
souvent un desenchantement en quelque sorte prevu. Cette remarque ne
tend pas a en proscrire la representation, qu'en rendent, au contraire,
necessaire et desirable d'autres raisons que nous exposerons plus loin.
On a souvent voulu transporter les theatres etrangers sur la scene
francaise, notamment les drames de Shakspeare. Toujours l'effet a ete
inferieur a celui qu'on en attendait, ce qui pourtant n'a jamais diminue
l'admiration que nous ressentons pour le grand poete anglais. Il serait
d'ailleurs pueril d'en rechercher la cause dans le changement de langue
que necessite la translation de ses oeuvres sur notre theatre, car
c'est p
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