e l'on devra se proposer
d'obtenir dans la representation de _l'Ami Fritz_, de MM.
Erckmann-Chatrian. Dans ce drame; les causes immediates sont toutes
objectives. Fritz est un homme jeune, bien portant, egoiste et heureux.
Tout lui sourit dans la vie, et il possede ce qui a ses yeux compose le
veritable bonheur ici-bas, une maison bien ensoleillee, des buffets bien
garnis d'argenterie et de beau linge, une gouvernante qui previent ses
moindres desirs, et un estomac capable de tenir tete aux amis qu'il
rassemble a sa table et avec lesquels il sable les vins de la Moselle et
du Rhin ou savoure, en fumant, la bonne biere d'Alsace. Tout ce qui a
sur le caractere de Fritz une influence si heureuse compose precisement
tous les elements de la mise en scene. Ici, il faut que les regards
du spectateur se reposent avec plaisir, comme ceux de Fritz, sur les
moindres details de l'ameublement, sur le service de table et sur le
linge que la gouvernante etale avec orgueil et complaisance. Le repas
lui-meme auquel il convie ses amis ne peut avoir la simplicite sommaire
des repas de theatres, car c'est la un des facteurs principaux du seul
bonheur qu'il a connu jusqu'ici. Quand l'amour s'insinue dans son
coeur, c'est encore par les cotes sensuels de sa nature qu'il se laisse
seduire: c'est la bonne odeur de la fenaison, la voix pure de Suzel, qui
s'unit a celles des faucheurs, les cerises, toutes glacees de la rosee
du matin, que du haut de l'arbre lui jette en riant la jeune fille, les
beignets succulents qu'elle a confectionnes de ses blanches mains, les
oeufs frais dont elle lui donne le desir, et les belles truites qu'elle
lui permet d'esperer.
Avec quel soin un directeur ne composera-t-il pas celte mise en scene,
dont chaque detail est destine a produire un effet psychologique! Ici,
il ne faut plus que tous les accessoires sentent trop le theatre; il
y faut un certain naturel qui puisse faire quelque illusion a l'oeil
complaisant du spectateur, et le seduire lui-meme a cette bonne vie
materielle de Fritz. Plus tard, quand tout ce bonheur se sera abime dans
la detresse de son coeur, toute cette mise en scene servira encore, par
contraste, a accuser plus fortement la desesperance de Fritz.
Mais j'en ai dit assez, il me semble; pour faire saisir la difference
essentielle qu'il y a entre la mise en scene d'une piece fondee sur
un sentiment subjectif et celle d'une oeuvre ou domine, dans les
sentiments, la puissance objective des cho
|