e l'art d'etre un jeu, et c'est par la
qu'il merite de charmer et d'embellir la vie. Comment donc ces memes
personnages, qui composent encore aujourd'hui notre personnel tragique,
prendraient-ils a nos yeux une consistance historique qu'ils n'ont
jamais eue? Ce qui nous trompe, et ce qui en cela fait le plus grand
honneur a l'art, c'est la verite et la puissance des passions auxquelles
les acteurs pretent l'apparence materielle de leurs corps. Il ne faut
donc pas s'y meprendre: il n'y a pas et il n'y a jamais eu de milieu
historique concordant expressement avec ces figures tragiques. La mise
en scene doit se composer non pas avec ce qui a ete ou ce qui a pu etre,
mais avec les images qui, dans notre imagination, forment et composent
le monde antique. Quelque parti que nous prenions, quelles que soient
les recherches savantes et archeologiques dont nous nous fassions
guider, jamais notre scene, avec ses personnages de creation toute
poetique, ne nous offrira un tableau veritable de la vie antique; pas
plus d'ailleurs que les personnages heroiques qu'ont peints Homere et
Eschyle n'ont jamais ressemble aux etres historiques dont un savant
moderne, dans sa foi ardente, exhume les restes a Mycenes et a Troie.
Les Grecs contemporains de Sophocle ne reconnaitraient certainement pas
la tragedie du plus grand de leur poete dans l'_Oedipe roi_ qu'on joue
actuellement a la Comedie-Francaise. Elle est pourtant une traduction
aussi fidele que possible, et la mise en scene en a ete reglee avec
un gout parfait. Ils seraient choques de voir les heros et les rois
descendus de leurs cothurnes et ramenes a la taille des marchands
d'Athenes, et de les entendre parler sans masques d'une facon aussi
simple et aussi peu melodique. Quant aux choeurs, ils se demanderaient
par quelle aberration du gout on ose leur faire declamer des strophes
sur une musique qui ne s'y adapte pas metriquement. C'est que les Grecs
concevaient de leur propre antiquite une image toute differente de celle
que nous nous en formons, et avaient sur l'art tragique des idees
tres differentes des notres. Maintenant qu'ils sont devenus eux-memes
l'antiquite, ce sont eux qui nous interessent, et, a la distance ou nous
sommes d'eux, nous les confondons volontiers avec leurs heros et avec
leurs dieux memes, ce qui prouve bien que ce monde mythologique,
heroique et historique n'existe a l'etat decoratif que dans notre propre
imagination. Cela n'empeche pas d'ailleurs que la trage
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