ir cette source de vie dont le jaillissement inonde notre ame.
Pour conclure, je dirai que c'est cette sensation du beau qui est
la raison des representations classiques, et la justification des
subventions que l'Etat accorde a l'Odeon et a la Comedie-Francaise.
Est-il un but plus noble que celui de convier a un plaisir aussi parfait
et aussi pur un peuple recemment affranchi, mais libre, helas! pour le
mal comme pour le bien, echappe a la discipline avant la fin de son
education intellectuelle et morale, et porte naturellement a toutes les
satisfactions des sens? N'est-il pas a esperer que parmi ce peuple, ceux
qui auront une fois goute et apprecie un plaisir si delicat se sentiront
moins entraines vers des plaisirs grossiers? C'est la qu'est la moralite
de l'art et la raison de son influence sur la destinee humaine et sur la
marche de la civilisation.
CHAPITRE XXIV
De la mise en scene tragique.--Ce qu'elle etait jadis en France.--Ce
qu'elle etait chez les Grecs.--Notre imagination seule cree la mise
en scene tragique.--Du caractere general de la decoration et des
costumes.--La mise en scene n'est pas immuable.
Nous savons maintenant a quoi tendent les representations classiques, le
but qu'elles poursuivent et la sensation supreme qu'elles s'efforcent de
faire eprouver a tous les spectateurs. Sans doute, tous ne sentent pas
le beau avec une force egale, et ne sont pas d'ailleurs disposes ou
prepares a subir le joug du poete; mais par l'effet physiologique de la
contagion, qui se produit dans toute foule humaine, les plus indecis et
les plus tiedes sont ebranles par le spectacle de l'emotion que leur
donnent les plus ardents, et bientot il s'etablit, entre ces spectateurs
de tout age et de toute condition, une sorte de communion emotionnelle,
qui fait qu'une salle tout entiere fond en larmes au meme instant ou
eclate en applaudissements.
Il y a dans toute oeuvre dramatique un ou plusieurs moments
psychologiques ou doit se produire cette commotion, qu'il ne faut pas
confondre avec celle qui est due au pathetique des situations. Elle se
fait souvent sentir des le second acte, et il suffit d'une idee,
d'un vers, d'un mot, d'un geste, d'un regard, pour determiner ce
jaillissement de verite et de vie qui nous atteint en pleine ame. Mais,
dans les belles oeuvres, ces deux commotions du pathetique et du beau
se resolvent enfin en une seule, qui se fait sentir, en general, au
quatrieme acte, apres lequel il ne res
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