, par exemple, nous
n'obtiendrons souvent par ces memes moyens que des effets disparates.
C'est que toute autre est l'imagination substantielle et pittoresque
du poete; elle est une representation embellie, agrandie et en quelque
sorte outree de la nature, et l'etre humain s'y montre toujours a l'etat
heroique, ou grandiose ou grotesque, sous une lumiere intense qui rend
les ombres plus profondes.
Ce grand effet de clair-obscur, que le poete projette sur les etres et
sur les choses, leur donne un relief saisissant. Lui-meme, dans les
indications de mise en scene qu'il joint a son oeuvre, fouille les
details, decrit les ameublements et les costumes, sculpte les bahuts
et cisele les armes. Dans ses vers, pas plus que dans ses indications
sceniques, il ne se contente de l'a peu pres theatral: il touche et
faconne les objets du pouce de Michel-Ange et les revet de la couleur du
Titien. Il faut a ses personnages des pourpoints de velours et de soie,
des epees brillantes et souples; il faut a ses heureux interpretes un
visage majestueux ou farouche, une parole caressante ou hautaine, un
jeu de proportion heroique, de facon que, laissant bien loin d'eux le
comedien, ils depassent un peu le personnage lui-meme. A ses drames
conviennent les decorations splendides, les ameublements somptueux, les
foules innombrables de la figuration; car partout et toujours, derriere
la decoration, derriere les personnages, comme un dieu impalpable
derriere un heros de l'Iliade, on devine la grande ombre du poete dont
la volonte puissante assemble les choses ou pousse et fait mouvoir ses
personnages a nos yeux. Genie essentiellement lyrique, bien plutot que
dramatique, qui jamais n'abstrait son oeuvre de lui-meme, et qui se sent
a l'etroit sur les planches et entre les coulisses d'un theatre. La
veritable scene ou se meuvent les personnages du drame, c'est le cerveau
meme du poete: c'est la qu'il faut chercher les mobiles secrets de ses
heros, qui obeissent bien plus a la volonte expresse de leur createur
qu'a la logique de leurs propres passions; et c'est la seulement que
peuvent entierement se realiser ses conceptions sceniques et decoratives
souvent a peu pres irrealisables, comme dans _le Roi s'amuse_.
Dans tous les drames de Victor Hugo, l'imagination est tellement
instante et puissante, a tous les moments de l'action, qu'un jour, fait
inoui dans les annales dramatiques, dans un tableau qui ouvre un des
actes de _Quatre-Vingt-Treize_, le
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