e de sieges formant cercle
autour de la cheminee est invariable et en general superieur au nombre
de personnes presentes. Un peintre, choisissant une scene de visites
pour sujet d'un tableau de genre, sera naturellement vrai en
reproduisant la realite, et il ne viendra a l'esprit d'aucun spectateur
du tableau de comparer le nombre des visiteurs a celui des sieges. C'est
qu'en effet la suite de cette scene a la contingence de la vie: il
pourra venir d'autres visiteurs, comme il pourra n'en pas venir. Dans
cette oeuvre d'art, la representation est a elle-meme sa propre fin.
L'esprit n'est sollicite en rien a chercher un rapport entre cette scene
et une scene subsequente qui ne viendra jamais.
Transportons-nous dans le salon de Celimene au deuxieme acte du
_Misanthrope_. Lorsque Basque avance des sieges sur l'ordre de sa
maitresse, il pourrait lui arriver, sur le theatre comme dans la
vie reelle, d'approcher un nombre de sieges superieur a celui des
personnages. Supposez que cela se produisit sur la scene, et imaginez
qu'au milieu d'Eliante, de Philinte, d'Acaste, de Clitandre, d'Alceste
et de Celimene, tous assis, il restat un siege vide: quelle importance
ce detail ne prendrait-il pas aux yeux des spectateurs! Ce siege vide
intriguerait le public et distrairait l'esprit d'une des plus belles
scenes de l'ouvrage, car il serait la comme un siege d'attente et
semblerait annoncer un nouveau personnage, et par suite une peripetie
que notre esprit serait decu de ne point voir se produire.
Cette observation pourra paraitre subtile. Pour comprendre toute son
importance, il nous suffira de nous reporter a la mise en scene des
_Femmes savantes_. A la seconde scene de l'acte III, lorsque le valet
approche les sieges sur lesquels prennent place Henriette, Philaminte,
Trissotin, Belise et Armande, il dispose, sur le premier plan, six
sieges, dont cinq seulement sont occupes par les personnages en scene,
tandis que le sixieme reste vide. Voila bien ce siege d'attente dont
nous parlions; or, ici, il annonce une scene subsequente dont le public
est ainsi averti, qu'il attend, et qui se produira en effet. Pendant
tout le temps que dure la scene ou Trissotin lit ses vers, ce siege vide
est un temoin muet; sa presence est deja une protestation contre
les mechants vers de Trissotin, et le public se dit qu'il annonce
necessairement un autre personnage qui vengera le bon sens outrage. Et
ce vengeur, en effet, c'est un autre pedant, Vadius,
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