a notre esprit, sans le distraire;
decor mobile ou tout reste a son plan et qui se rapproche ou s'eloigne
au gre de notre imagination. Dans cette mise en scene ideale, tout se
reduit souvent a des signes purement ideographiques; c'est un fond
toujours un peu efface, seme d'images confuses, qui s'evanouissent des
qu'on veut les considerer avec fixite, mais sur lequel l'oeuvre poetique
s'enleve en pleine lumiere, comme une belle piece d'orfevrerie se
detache sur une tapisserie usee par le temps. Ce fond s'harmonise
merveilleusement avec le texte poetique. Des images, diffuses ou
instables, semblent venir du lointain le plus recule et forment cette
mise en scene ideale que nous projetons objectivement dans l'espace
incertain. C'est sur ce fond propice que se detachent les heros du
drame: ils ont la stature, le regard, le geste, la voix qu'ils doivent
avoir. Dans cette jouissance un peu extatique rien ne vient contrarier
le pathetique des situations, rien ne distrait de la beaute des vers,
de la logique de l'action, de la justesse des pensees, de l'effet
emotionnel des passions; et c'est alors que nous ressentons l'emotion
esthetique, non la plus forte, ni la plus profonde, ni la plus complete,
mais la plus pure de tout alliage, qu'il nous soit donne d'eprouver.
Combien l'effet representatif reel est violent par rapport a cet effet
representatif ideal! La main souvent brutale du decorateur ou du metteur
en scene immobilise tout ce qui precisement avait une grace mobile et
fugitive; elle fait une sorte de trompe-l'oeil de ce qui n'etait qu'un
jeu de notre imagination. Au milieu d'une nature de carton peint, sous
une lumiere invraisemblable, s'accumulent alors des imperfections de
toutes sortes, imperfections de decors, de costumes, de mouvements, de
gestes, de diction, qui sont autant d'outrages a la beaute poetique.
Ce sont la, en effet, les conditions desastreuses dans lesquelles une
oeuvre dramatique parait sur le theatre. Mais, hatons-nous de le dire,
il faut s'y resigner. Pour un homme qui a assez de loisir, de gout, de
delicatesse et d'imagination pour s'abandonner sans reserve a ce jeu de
l'esprit qu'on appelle l'art, qui se laisse tout entier attendrir et
subjuguer par les accents pathetiques d'Iphigenie ou par la melancolique
chanson d'Ophelie, combien y a-t-il d'hommes dont le cerveau n'est
peuple que des images cruelles de la realite vivante, qui n'ont ni
l'heur ni le loisir de s'essayer ainsi sur la flute des die
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