tif, on le concoit, n'est pas cree de toutes pieces
par la mise en scene. Toute oeuvre dramatique possede par elle-meme
une valeur poetique et une valeur representative. Seulement, dans
l'imagination du poete, elles sont souvent dans une relation inverse de
ce qu'elles nous paraissent sur un theatre, ou la mise en scene modifie
et parfois renverse la proportion: on peut dire que la mise en scene est
l'epanouissement, rendu visible, d'un germe ideal. C'est ce dont il est
facile de se rendre compte.
Nous ne sommes a l'aurore ni de l'humanite, ni de l'histoire, ni de la
litterature. Nous sommes, bien qu'a differents degres, les produits
d'une education poursuivie pendant des siecles a travers un grand nombre
de generations. Modifies par l'heredite, par une somme sans cesse
croissante de connaissances transmises ou acquises, nous avons passe
par des etats de conscience inconnus aux hommes que n'a pas visites la
civilisation. Il est certain qu'un sauvage ne comprendrait rien a la
lecture d'une tragedie de Racine ou d'un drame de Shakspeare, si
meme par impossible il pouvait saisir le sens des mots; il ne serait
nullement dans les conditions necessaires d'instruction et d'education
intellectuelles et morales.
Que se passe-t-il donc en nous quand nous lisons une oeuvre dramatique?
Il est clair qu'elle ne penetre pas dans un esprit vierge de toute
impression similaire. Nous avons tous vu des theatres de formes les plus
diverses, les uns ouverts, les autres fermes, souvent chez differents
peuples; nous avons assiste a de nombreuses representations dramatiques;
nous possedons dans notre imagination une ample collection, un peu
confuse, mais tres riche, de costumes de tous les ages; nous connaissons
plus ou moins les moeurs des nations anciennes et modernes ayant joue un
role important dans l'histoire; enfin, nous sommes familiers avec les
legendes heroiques, les mythologies, souvent meme avec les langues des
pays etrangers. Une foule innombrable d'objets se sont presentes a notre
esprit et se trouvent enregistres dans notre memoire, ou ils restent
d'ordinaire a l'etat latent. Mais aussitot qu'une lecture en ravive le
souvenir, il se fait dans notre esprit une representation subjective
de tous les objets dont nous avons conserve les images. Et cette
representation illustre immediatement notre lecture et lui sert de mise
en scene ideale: mise en scene toujours discrete, qui parait, s'efface,
disparait et reparait sans s'imposer
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