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inferieure a la poesie epique et a la poesie lyrique, reprend cependant
sa place elevee lorsque, dans la lecture, par exemple, rien ne vient
distraire notre esprit du plaisir ideal qu'elle nous procure, et que
notre imagination seule fait tous les frais de la mise en scene. L'art
dramatique est donc sur une pente toujours dangereuse, sur laquelle il
lui est malheureusement trop facile de se laisser glisser.
Dans la representation d'une oeuvre dramatique, tout ce qu'au dela d'une
certaine limite un directeur ajoute, pour le plaisir des yeux ou pour
celui de l'oreille, detruit l'integrite d'un plaisir qui n'aurait du
etre destine qu'a l'esprit. Le spectateur, dont les magnificences de la
mise en scene captivent les yeux, n'est plus dans un etat de conscience
susceptible de gouter, soit la beaute litteraire de l'oeuvre
representee, soit la profondeur et la verite psychologique des passions
qu'elle met en jeu. L'attention est detournee de son objet principal,
et, dans ce cas, le plaisir que nous goutons, veritable plaisir des
sens, est inferieur a celui que nous aurions du ressentir. On peut donc
affirmer, sans crainte de se tromper, que l'abus et l'exces de la mise
en scene tendent a la decadence de l'art dramatique.
A un autre point de vue, il est juste de dire que la necessite de la
mise en scene s'impose d'autant plus que l'oeuvre est plus faible. Sans
le secours des decors, des costumes, d'une nombreuse figuration,
combien de pieces, privees de ces moyens artificiels de detourner notre
attention, n'oseraient ou ne pourraient affronter le jugement integral
de notre esprit. Sans doute c'est un merite, et meme un grand merite,
d'amuser les spectateurs, et nous nous plaisons souvent a nous laisser
duper par de brillantes images; cela nous evite un effort intellectuel,
et quand nous arrivons fatigues au theatre, nous sommes reconnaissants
envers un auteur de son habilete a nous procurer une delectation facile
et a menager la paresse de notre esprit. Mais combien souvent le
lendemain nous nous vengeons cruellement de cette duperie, dont
cependant nous nous sommes faits les complices; car, tout en avouant
le plaisir que nous avons goute, nous condamnons la piece en declarant
qu'elle ne supporte pas la lecture. Aucun jugement critique ne depasse
celui-la, en rigueur et en verite tout a la fois, car il est porte par
l'esprit, degage des seductions de la mise en scene et soustrait aux
complaisances faciles de nos organes
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