public de plus en plus nombreux.
Il semble qu'il y ait la une sorte de compensation, bien difficile a ne
pas accepter dans l'etat actuel de la societe francaise. La Revolution a
brise les barrieres qui separaient les classes les unes des autres. La
France est aujourd'hui une democratie. Les plus humbles veulent jouir
des memes plaisirs que les plus fortunes; aussi, depuis la fin du
siecle dernier, on peut dire que le public qui suit les representations
dramatiques a presque centuple. Il faut non seulement un plus grand
nombre de theatres pour satisfaire a tous ses gouts; mais encore
une piece qui, jadis, eut ete arretee de la vingt-cinquieme a la
cinquantieme representation atteint facilement aujourd'hui la
centieme, la deux-centieme meme et souvent apres un nombre pareil de
representations n'a epuise que momentanement son succes.
La necessite de plaire a la foule s'impose donc, mais impose du meme
coup a l'art un sacrifice penible; car l'ideal s'abaisse sensiblement
a mesure qu'augmente en nombre le public dont on sollicite les
applaudissements. Il n'y a relativement qu'un petit nombre d'esprits
delicats et cultives qui soient capables de sentir la beaute severe
d'une oeuvre d'art. En revanche, en attirant la foule, fut-ce au prix
de quelques concessions, en la sollicitant, par l'attrait d'un plaisir
facile, a gouter a son tour le charme des belles oeuvres, on rehausse
et on purifie si peu que ce soit son ideal. Si donc la cime de l'art
s'abaisse, la culture generale de l'esprit s'etend, s'eleve meme, et la
encore il y a compensation. Or, dans une societe democratique, c'est une
compensation qu'il n'est pas permis de negliger et qu'on serait meme
coupable de ne pas rechercher. Mais, si nous pouvons nous consoler de
l'abaissement fatal de l'art par la compensation que nous trouvons
dans la culture du plus grand nombre, c'est a la condition que nous ne
perdions pas de vue le sommet auquel il s'est eleve et vers lequel il
doit tendre a remonter, par un autre chemin peut-etre, afin que nous
ayons toujours conscience de l'effort qu'il nous faudrait faire pour
l'atteindre.
C'est pourquoi, s'il est pardonnable a la plupart des directeurs de
sacrifier a la moindre culture du plus grand nombre, il est du devoir de
quelques directeurs privilegies de maintenir, autant que possible, l'art
dans toute son integrite et de resister au desir de trop flatter
les instincts moins delicats d'un public plus nombreux. Or, s'ils
remplis
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