s montrer la moindre
agitation. Tout a l'heure, il m'a demande si je n'avais pas vu cette
nuit une femme blanche aupres de son lit. Je lui ai persuade qu'il
avait vu en reve cette apparition; maintenez-le dans cette erreur, et
gardez-vous de rien dire qui le ramene a un sentiment trop vif de la
realite. Je vois maintenant a cette maladie des causes purement morales;
je vous declare que vous pouvez mieux que moi guerir votre fils.
--Oui, oui, je le menagerai, dit le marquis; mais n'esperez pas que je
donne mon consentement au mariage; j'aimerais mieux le voir mourir.
--Le mariage ne me regarde pas, dit le medecin; mais si vous voulez
tuer votre fils par le chagrin et la violence, avertissez-moi des
aujourd'hui; car, dans ce cas, je n'ai plus rien a faire ici.
Le marquis n'avait jamais trouve une franchise si apre autour de lui.
Depuis plus de trente ans personne n'avait ose le contrarier, et depuis
quelques heures tous se permettaient de lui resister. Dans la crainte
de perdre son fils, il le traita doucement jusqu'au jour de la
convalescence; mais, dans son coeur, il amassa contre Genevieve une
haine implacable.
XV.
Genevieve rentra chez elle tres-lasse et un peu calmee. Joseph retourna
tous les jours aupres d'Andre, et tous les soirs il vint donner de
ses nouvelles a Genevieve. La guerison du jeune homme fit des progres
rapides, et quinze jours apres il commencait a se promener dans le
verger, appuye sur le bras de son ami. Mais, pendant cette quinzaine,
Genevieve avait lu clairement dans sa destinee. Elle n'avait jamais
soupconne jusque-la l'horreur que son mariage avec Andre inspirait
au marquis; elle avait entrevu confusement des obstacles dont Andre
essayait de la distraire. L'accueil cruel du marquis dans cette triste
nuit ne l'affecta d'abord que mediocrement; mais quand ses anxietes
cesserent avec le danger de son amant, elle reporta ses regards sur
les incidents qui l'avaient conduite aupres de son lit. La figure, les
menaces et les insultes de M. de Morand lui revinrent comme le souvenir
d'un mauvais reve. Elle se demanda si c'etait bien elle, la fiere, la
reservee Genevieve, qui avait ete injuriee et souillee ainsi. Alors
elle examina sa conduite exaltee, sa situation equivoque, son avenir
incertain; elle se vit, d'un cote, perdue dans l'opinion de ses
compatriotes si elle n'epousait pas Andre; de l'autre, elle se vit
meprisee, repoussee et detestee par un pere orgueilleux et entete, qui
serait
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