son implacable ennemi si elle epousait Andre malgre sa defense.
Une prevision encore plus cruelle vint se meler a celle-la. Elle crut
deviner les motifs de la conduite d'Andre; elle s'expliqua ses longues
absences, son air tourmente et distrait aupres d'elle, son impatience et
son effroi en la quittant; elle fremit de se voir dans une position si
difficile, appuyee sur un si faible roseau, et de decouvrir dans le
coeur de son amant la meme incertitude que dans les evenements dont elle
etait menacee. Elle jeta les yeux avec tristesse sur sa gloire et son
bonheur de la veille, et mesura en tremblant l'abime infranchissable qui
la separait deja du passe.
Calme et prudente, Genevieve, avant de s'abandonner a ces terreurs,
voulut savoir a quel point elles etaient fondees. Elle questionna
Joseph. Il ne fallait pas beaucoup d'adresse pour le faire parler. Il
avait une finesse excessive pour se tirer des embarras qu'il trouvait a
la hauteur de son bras et de son oeil; mais les susceptibilites du coeur
de Genevieve n'etaient pas a sa portee. Il l'admirait sans la comprendre
et la contemplait tout ravi, comme une vision enveloppee de nuages. Il
se confia donc au calme apparent avec lequel elle l'interrogea sur les
dispositions du marquis et sur le caractere d'Andre. Il crut qu'elle
savait deja a quoi s'en tenir sur l'obstination de l'un et sur
l'irresolution de l'autre, et il lui donna sur ces deux questions si
importantes pour elle les plus cruels eclaircissements. Genevieve, qui
voulait puiser son courage dans la connaissance exacte de son malheur,
ecoutait ces tristes revelations avec un sang-froid heroique, et quand
Joseph croyait l'avoir consolee et rassuree en lui disant: "Bonsoir,
Genevieve; il ne faut pas que cela vous tourmente: Andre vous aime; je
suis votre ami; nous combattrons le sort," Genevieve s'enfermait dans
sa chambre et passait des nuits de fievre et de desespoir a savourer le
poison que la sincerite de Joseph lui avait verse dans le coeur.
Joseph, de son cote, commencait a prendre un interet singulier a la
douleur de Genevieve, et il eprouvait une etrange impatience. Il
guettait le moment ou il pourrait parler d'elle avec Andre; mais Andre
semblait fuir ce moment. A mesure que ses forces physiques revenaient,
son vrai caractere reprenait le dessus, et de jour en jour la crainte
remplacait l'espoir que son pere lui avait laisse entrevoir un instant.
Il ne savait pas que Genevieve etait venue aupres de son
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