nevieve ni Andre ne seront ingrats. Ils consentiront a se separer pour
jamais, et un jour ils te remercieront.
En parlant ainsi, Joseph s'attendrit et s'eleva presque a la hauteur
du role genereux et romanesque a l'abri duquel il esperait persuader a
Andre de renoncer a Genevieve. Joseph n'etait rien moins qu'un heros de
roman. C'etait un campagnard madre qui s'etait epris serieusement de
Genevieve, et qui, entrevoyant l'esperance de la separer d'Andre,
cedait a un egoisme bien excusable, et n'etait pas fache de hater cette
rupture. Mais son caractere etait un singulier melange de ruse et
de loyaute. Aussi, quand il vit qu'Andre, dupe d'abord de sa fausse
generosite, apres l'avoir remercie avec effusion, refusait de renoncer a
Genevieve, il abandonna sur-le-champ le reve de bonheur dont il s'etait
berce. Quand il entendit Andre parler de sa passion avec cette espece
d'eloquence dont il n'avait pas le secret, il revint a lui-meme: "Non,
se dit-il interieurement, Genevieve ne pourrait pas oublier un si beau
parleur pour s'affubler d'un rustre comme moi. Si le respect humain ou
le depit la decidait a m'accepter, elle s'en repentirait, et j'aurais
fait trois malheureux, Andre, elle et moi. D'ailleurs, se dit-il encore,
Andre sait mieux aimer que moi. Il ne sait pas agir, mais il sait
souffrir et pleurer. Voila ce qui gagne le coeur des femmes. Ce
pauvre enfant n'aura peut-etre ni la force de l'epouser ni celle de
l'abandonner. Dans tous les cas, il sera malheureux; mais je ne veux
pas qu'il soit dit que j'y aie contribue, moi, Joseph Marteau, son ami
d'enfance. Ce serait mal."
C'est avec ces idees et ces maximes que Joseph Marteau, apres avoir
passe en un jour par les sentiments les plus contraires, se resolut a
hater de tout son pouvoir la reconciliation d'Andre avec Genevieve.
--Je m'abandonne a toi comme a mon meilleur, comme a mon seul ami, lui
dit Andre; dis-moi ce qu'il faut faire, aide-moi, reflechis et decide.
J'executerai aveuglement tes ordres.
--Eh bien! lui dit Joseph, il faut proceder honnetement, si nous voulons
avoir l'assentiment de Genevieve. Va trouver ton pere sur-le-champ et
demande-lui son consentement. S'il te l'accorde, ecris a Genevieve pour
la prier de revenir; je porterai la lettre et je lui dirai tout ce qui
pourra la decider. S'il refuse, nous partons sans le prevenir, et nous
procedons cavalierement avec lui.
--Ne pourrais-tu me sauver l'horreur de cet entretien? dit Andre;
j'aimerais
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