a Andre, tu m'entraines dans le mal, tu me fais manquer
a l'estime que je voulais avoir pour moi-meme; je ne m'en consolerai pas
et je ne pourrai jamais cesser de t'accuser un peu. Avec un homme plus
fort que toi, j'aurais pratique les vertus heroiques; il me semble
que j'en suis capable et que ma destinee etait de faire des choses
extraordinaires. Et pourtant je vais tomber dans une existence coupable,
egoiste et honteuse. Je vais travailler sordidement a epouser un homme
plus riche que moi, et pourquoi? pour imposer silence a la calomnie.
Andre, Andre! renonce a moi; il en est encore temps; crains que, si je
te cede aujourd'hui, je ne m'en repente demain.
--Tu as raison, disait Andre, separons-nous; et il tombait dans les
convulsions. Son faible corps se refusait a ces emotions violentes.
Genevieve n'avait pas le courage surhumain de l'abandonner et de le
desesperer dans ces moments cruels. Elle lui promettait tout ce qu'il
voulait, et elle finit par retourner a L..... avec lui.
XVII.
Alors commenca pour tous deux une vie de souffrances continuelles. D'une
part, le marquis, furieux de la sommation de l'huissier, se plaignait a
tout le pays de l'insolence de son fils et de l'impudente ambition de
cette ouvriere, qui voulait usurper le noble nom de sa famille. Il
trouvait beaucoup de gens envieux du merite de Genevieve ou avides de
colporter les secrets d'autrui, et les calomnies debitees contre la
pauvre fille acquirent une publicite effrayante. Toutes les prudes de la
ville, et le nombre en etait grand, lui retirerent leur pratique, et se
porterent en foule chez une marchande qui avait profite de l'absence
de Genevieve pour venir s'etablir a L... Ses fleurs etaient ridicules
aupres de celles de Genevieve; mais qui pouvait s'en soucier ou s'en
apercevoir, si ce n'est deux ou trois amateurs de botanique, qui
cultivaient des fleurs et n'en commandaient pas? Le besoin vint assieger
la pauvre fleuriste; personne ne s'en douta, et Andre moins que tout
autre, tant elle sut bien cacher sa penurie; mais elle supporta de longs
jeunes, et sa sante s'altera serieusement.
L'amitie d'Henriette, qui lui avait ete douce et secourable autrefois,
lui fut tout a fait ravie. La derniere fuite de Joseph, les frequentes
visites qu'il continuait a rendre a Genevieve, et surtout l'indifference
qu'il ne pouvait plus dissimuler, furent autant de traits envenimes dont
Henriette recut l'atteinte, et dont elle retourna la pointe vers s
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