Andre?
--Il se promene tous les soirs au bord de la riviere, du cote des
_Couperies._
--Pourquoi se promene-t-il sans vous?
--Je n'ai pas la force de marcher, et puis nous sommes si tristes que
nous n'osons plus rester ensemble.
--Mais vous allez vous egayer, de par Dieu! dit Joseph; je vais le
chercher et lui apprendre tout cela.
Il courut rejoindre Andre. Celui-ci fut moins joyeux que Genevieve a
l'idee d'un rapprochement entre lui et son pere. Il desirait le voir,
obtenir son pardon, l'embrasser, lui presenter sa femme, et rien de
plus. Demeurer avec lui etait un projet qui l'effrayait extremement. Au
milieu de ses hesitations et de ses repugnances, Joseph fut frappe de
l'indolence et de l'inertie avec laquelle il envisageait sa position et
la pauvrete ou se consumait Genevieve.
--Malheureux! lui dit-il, tu ne songes donc pas que l'important n'est pas
de jouer une scene de comedie sentimentale, mais d'avoir du pain pour
ta femme et l'enfant qu'elle va te donner! Il faut bien se garder
d'accepter cette premiere proposition de ton pere sans arracher de son
avarice quelque chose de mieux: une pension alimentaire au moins, et une
moitie de ton revenu, s'il est possible.
--Mais par quel moyen? dit Andre; je ne puis avoir recours aux lois sans
que Genevieve en soit informee; tu ne connais pas sa fermete: elle est
capable de me hair si je viole sa defense.
--Aussi, reprit Joseph, faut-il lui cacher soigneusement mes demarches
et me laisser faire.
Andre s'abandonna a la prudence et a l'adresse de son ami, trop faible
pour combattre son pere et trop faible aussi pour empecher un autre de
le combattre en son nom. Toujours effraye, inerte et souffrant entre le
bien et le mal, il retourna aupres de sa femme, feignit de partager son
contentement, et s'endormit fatigue de la vie, comme il s'endormait tous
les soirs.
Quelques jours s'ecoulerent avant que Joseph put revoir le marquis. Une
foire considerable avait appele le seigneur de Morand a plusieurs lieues
de chez lui, et il ne revint qu'a la fin de la semaine. Il rentra un
soir, s'enferma dans sa chambre, et deposa dans une cachette a lui
connue quelques rouleaux d'or provenant de la vente de ses bestiaux.
"Ceux-la, dit-il en refermant le secret de la boiserie, on ne me les
arrachera pas de si tot. Il revint s'asseoir dans son fauteuil de cuir
et s'essuya le front avec la douce satisfaction d'un homme qui ne s'est
pas fatigue en vain. En ce moment ses yeu
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