il ne pouvait croire a l'excessive noblesse de sa femme, et
n'etait pas tranquille sur l'abandon qu'elle faisait de toute pretention
d'argent. Il consulta Joseph, qui, ennuye de cette affaire, et pres
d'eclater en injures et en reproches contre le marquis, refusa de s'en
occuper, et repondit laconiquement que Genevieve etait la plus honnete
femme qu'il connut. Cette reponse redoubla la mefiance du marquis. Il
trouvait une contradiction evidente dans les manieres de Joseph avec
lui. Il commenca a se tourmenter et a tourmenter Andre pour qu'il signat
un desistement complet de la gestion et de la jouissance de sa fortune.
Andre fut indigne de cette proposition et l'eluda froidement. Le marquis
s'inquieta de plus en plus. "Ils m'ont trompe, se disait-il; ils ont
fait semblant de se soumettre a tout, et ils se sont introduits dans ma
maison dans l'esperance de me depouiller."
Des que cette idee eut pris une certaine consistance dans son cerveau,
son aversion contre Genevieve se ranima, et il commenca a ne plus
pouvoir la cacher. Une grosse servante maitresse, qui depuis longtemps
gouvernait la maison, et qui avait vu avec rage l'introduction d'une
autre femme dans son petit royaume, mit tous ses soins a envenimer, par
de sots rapports, ses actions, ses paroles et jusqu'a ses regards. Elle
n'eut pas de peine a aigrir les vieux ressentiments du marquis, et
l'infortunee Genevieve devint un objet de haine et de persecution.
Elle fut lente a s'en apercevoir: elle ne pouvait croire a tant de
petitesse et de mechancete; mais quand elle s'en apercut, elle fut
glacee d'effroi, et, tombant a genoux, elle implora la Providence, qui
l'avait abandonnee. Elle supporta un mois l'oppression, le soupcon
insultant et l'avarice grossiere avec une patience angelique. Un jour,
insultee et calomniee a propos d'une aumone de quelques francs qu'elle
avait faite dans le village, elle appela Andre a son secours et lui
demanda aide et protection. Andre, pour tout secours, lui proposa de
prendre la fuite.
Genevieve approchait du terme de sa grossesse; elle ne possedait pas un
denier pour subvenir aux frais de sa delivrance; elle se sentait trop
malade et trop epuisee pour nourrir son enfant, et elle n'avait pas de
quoi le faire nourrir par une autre. Elle ne pouvait plus rien gagner,
son etat etait perdu; Andre n'avait pas l'industrie de s'en creer un.
Elle sentit qu'elle etait enchainee, qu'il fallait vivre ou mourir sous
le joug de son beau-pere
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