mieux me battre avec dix hommes que de parler a mon pere.
--Impossible, impossible! dit Joseph; il refusera, il te brutalisera, il
n'en faut pas douter; tant mieux! tous les torts seront de son cote, et
nous aurons le droit d'agir vigoureusement.
Andre se decida enfin, et trouva son pere occupe a nettoyer ses fusils
de chasse. Il entra timidement et fit crier la porte en l'ouvrant
lentement et d'une main tremblante.
--Voyons, qu'y a-t-il? qu'est-ce que c'est? dit le marquis impatiente;
pourquoi n'entrez-vous pas franchement? Vous avez toujours l'air d'un
voleur ou d'un pauvre honteux.
--Je viens vous demander un moment d'entretien, repondit Andre d'un air
froid et craintif. C'etait la premiere fois qu'il essayait d'avoir une
explication avec son pere. Le marquis fut si surpris qu'il leva les yeux
et toisa Andre de la tete aux pieds. Il pressentit en un instant le
sujet de cette demarche, et la colere s'alluma dans ses veines avant que
son fils eut dit un mot. Tous deux garderent le silence, puis le marquis
s'ecria: "Allons, tonnerre de Dieu! etes-vous venu ici pour me regarder
le blanc des yeux? Parlez, ou allez-vous-en.
--Je parlerai, mon pere, dit Andre, a qui le sentiment de l'offense
donnait un peu de courage. Je viens vous declarer que je suis amoureux
de Genevieve la fleuriste, et que mon intention est de l'epouser, si
vous voulez bien m'accorder votre consentement...
--Et si je ne l'accorde pas, s'ecria le marquis en se contenant un peu,
que ferez-vous?
--J'essaierai de vous flechir; et si je ne le peux pas...
--Eh bien?
Andre resta deux minutes sans repondre. Les yeux etincelants de son pere
le tenaient en arret comme le lievre fascine sous le regard du chien de
chasse.
--Eh bien! monsieur l'epouseur de filles, dit le marquis d'un ton moqueur
et meprisant, que ferez-vous si je vous defends de mettre les pieds hors
de la maison d'ici a un an?
--Je desobeirai a mon pere, repondit Andre en s'animant, car mon pere
aura agi avec moi d'une maniere injuste et insensee.
Rien au monde ne pouvait irriter le marquis plus que les paroles et le
maintien de son fils. Un caractere plus hardi et plus souple aurait
su flatter cet orgueil imperieux et brutal; mais Andre n'avait pas le
courage de caresser un animal si rude. Tout ce qu'il pouvait, c'etait
de faire bonne contenance devant lui et de ne pas s'abandonner a la
tentation de fuir son aspect terrifiant.
"Ah! nous y voila! dit le marquis en grin
|