s il se sentit fort apaise et l'emmena souper assez
amicalement avec lui, croyant avoir remporte une grande victoire et
signale sa puissance par un acte eclatant. Andre, de son cote, ne
montra guere de rancune; il croyait avoir echappe a la tyrannie
et s'applaudissait de sa rebellion secrete comme d'une resistance
intrepide. Ils se reconcilierent en se trompant l'un l'autre et en
se trompant eux-memes, l'un se flattant d'avoir subjugue, l'autre
s'imaginant avoir desobei.
Le lendemain, Andre s'eveilla longtemps avant le jour; et, se croyant
libre, il allait reprendre la route de L..., quand son pere parut comme
la veille, un peu moins menacent seulement.
--Je ne veux pas que tu ailles a la ville aujourd'hui, lui dit-il; j'ai
decouvert un taillis tout plein de becasses. Il faut que tu viennes avec
moi en tuer cinq ou six.
--Vous etes bien bon, mon pere, repondit Andre; mais j'ai promis a
Joseph d'aller dejeuner avec lui...
--Tu dejeunes avec lui tous les jours, repondit le marquis d'un ton
calme et ferme; il se passera fort bien de toi pour aujourd'hui. Va
prendre ton fusil et ta carnassiere.
Il fallut encore qu'Andre se resignat. Son pere le tint a la chasse
toute la journee, lui fit faire dix lieues a pied, et l'ecrasa tellement
de fatigue, qu'il eut une courbature le lendemain, et que le marquis eut
un pretexte excellent pour lui defendre de sortir. Le jour suivant, il
l'emmena dans sa chambre, et, ouvrant le livre de ses domaines sur une
table, il le forca de faire des additions jusqu'a l'heure du diner. Vers
le soir, Andre esperait etre libre: son pere le mena voir tondre des
moutons.
Le quatrieme jour, Genevieve, ne pouvant resister a son inquietude, lui
ecrivit quelques lignes, les confia a un enfant du voisinage, qu'elle
chargea d'aller les lui remettre. Le message arriva a bon port, quoique
Genevieve, ne prevoyant pas la situation de son amant, n'eut pris aucune
precaution contre la surveillance du marquis. Le hasard protegea le
petit page aux pieds nus de Genevieve, et Andre lut ces mots, qui le
transporterent d'amour et de douleur.
"Ou votre pere est dangereusement malade, ou vous l'etes vous-meme,
mon ami. Je m'arrete a cette derniere supposition avec raison et avec
desespoir. Si vous etiez bien portant, vous m'ecririez pour me donner
des nouvelles de votre pere et pour m'expliquer les motifs de votre
absence, vous etes donc bien mal, puisque vous n'avez pas la force de
penser a moi et de m'epa
|