omes ne sachent pas cela,
c'est que les fantomes croient que je puis avoir peur.
-- Tandis que c'est impossible, n'est-ce pas? demanda sir John.
-- Que voulez-vous? quand, au lieu d'avoir peur de la mort, on
croit, a tort ou a raison, avoir un motif de chercher la mort, je
ne sais pas de quoi l'on aurait peur; mais, je vous le repete, il
est possible que les fantomes, qui savent beaucoup de choses
cependant, ne sachent point cela. Seulement, ils savent ceci:
c'est que le sentiment de la peur s'augmente ou diminue par la vue
et par l'audition des objets exterieurs. Ainsi, par exemple, ou
les fantomes apparaissent-ils de preference? dans les lieux
obscurs, dans les cimetieres, dans les vieux cloitres, dans les
ruines, dans les souterrains parce que deja l'aspect des localites
a dispose l'ame a la peur. Apres quoi apparaissent-ils? apres des
bruits de chaines, des gemissements, des soupirs, parce que tout
cela n'a rien de bien recreatif; ils n'ont garde de venir au
milieu d'une grande lumiere ou apres un air de contredanse; non,
la peur est abime ou l'on descend marche a marche, jusqu'a ce que
le vertige vous prenne, jusqu'a ce que le pied vous glisse,
jusqu'a ce que vous tombiez les yeux fermes jusqu'au fond du
precipice. Ainsi, lisez le recit de toutes les apparitions, voici
comment les fantomes procedent: d'abord le ciel s'obscurcit, le
tonnerre gronde, le vent siffle, les fenetres et les portes
crient, la lampe, s'il y a une lampe dans la chambre de celui a
qui ils tiennent a faire peur, la lampe petille, palit et
s'eteint; obscurite complete! alors, dans l'obscurite, on entend
des plaintes; des gemissements; des bruits de chaines, enfin la
porte s'ouvre et le fantome apparait. Je dois dire que toutes les
apparitions que j'ai, non pas vues, mais lues, se sont produites
dans des circonstances pareilles. Voyons, est-ce bien cela, sir
John?
-- Parfaitement.
-- Et avez-vous jamais vu qu'un fantome ait apparu a deux
personnes a la fois?
-- En effet, je ne l'ai jamais lu, ni entendu dire.
-- C'est tout simple, mon cher lord: a deux, vous comprenez, on
n'a pas peur; la peur, c'est une chose mysterieuse, etrange,
independante de la volonte, pour laquelle il faut l'isolement, les
tenebres, la solitude. Un fantome n'est pas plus dangereux qu'un
boulet de canon. Eh bien, est-ce qu'un soldat a peur d'un boulet
de canon, le jour, quand il est en compagnie de ses camarades,
quand il sent les coudes a gauche? Non, il
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