-- Prends deux secretaires differents; il y en aura un qui se sera
trompe.
Puis, se tournant vers Bourrienne:
-- Ecris, lui dit-il.
Et, tout en se promenant, il dicta sans hesiter, comme un homme
qui a songe d'avance et longtemps a ce qu'il dicte, mais en
s'arretant de temps en temps devant Bourrienne pour voir si la
plume du secretaire suivait sa parole:
"Citoyens!
"Le conseil des Anciens, depositaire de la sagesse nationale,
vient de rendre le decret ci-joint; il y est autorise par les
articles 102 et 103 de l'acte constitutionnel.
"Il me charge de prendre des mesures pour la surete de la
representation nationale, sa translation necessaire et
momentanee..."
Bourrienne regarda Bonaparte: c'etait _instantanee _que celui-ci
avait voulu dire; mais, comme le general ne se reprit point,
Bourrienne laissa _momentanee._
Bonaparte continua de dicter:
"Le Corps legislatif se trouvera a meme de tirer la representation
du danger imminent ou la desorganisation de toutes les parties de
l'administration nous a conduits.
"Il a besoin, dans cette circonstance essentielle, de l'union et
de la confiance des patriotes; ralliez-vous autour de lui; c'est
le seul moyen d'asseoir la Republique sur les bases de la liberte
civile, du bonheur interieur, de la victoire et de la paix."
Bonaparte relut cette espece de proclamation, et, de la tete, fit
signe que c'etait bien.
Puis il tira sa montre:
-- Onze heures, dit-il; il est temps encore.
Alors, s'asseyant a la place de Bourrienne, il ecrivit quelques
mots en forme de billet, cacheta et mit sur l'adresse: "Au citoyen
Barras."
-- Roland, dit-il quand il eut acheve, tu vas prendre, soit un
cheval a l'ecurie, soit une voiture sur la place, et tu te rendras
chez Barras; je lui demande un rendez-vous pour demain a minuit.
Il y a reponse.
Roland sortit.
Un instant apres, on entendit dans la cour de l'hotel le galop
d'un cheval qui s'eloignait dans la direction de la rue du Mont-
Blanc.
-- Maintenant, Bourrienne, dit Bonaparte, apres avoir prete
l'oreille au bruit, demain a minuit, que je sois a l'hotel ou que
je n'y sois pas, vous ferez atteler, vous monterez dans ma voiture
et vous irez a ma place chez Barras.
-- A votre place, general?
-- Oui; toute la journee, il comptera sur moi pour le soir, et ne
fera rien, croyant que je le mets dans ma partie. A minuit, vous
serez chez lui, vous lui direz qu'un grand mal de tete m'a force
de me coucher,
|