secrete de la part de Barras.
Il resolut de lui epargner le premier pas, et, marchant droit au
jeune homme:
-- Vous venez de la part des directeurs? dit-il.
Puis, sans lui donner le temps de repondre:
-- Qu'ont-ils fait, continua-t-il, de cette France que j'avais
laissee si brillante? J'avais laisse la paix, j'ai retrouve la
guerre; j'avais laisse des victoires, j'ai retrouve des revers;
j'avais laisse les millions de l'Italie, j'ai retrouve la
spoliation et la misere! Que sont devenus cent mille Francais que
je connaissais tous par leur nom? Ils sont morts!
Ce n'etait point precisement au secretaire de Barras que ces
choses devaient etre dites; mais Bonaparte voulait les dire, avait
besoin de les dire; peu lui importait a qui il les disait.
Peut-etre meme, a son point de vue, valait-il mieux qu'il les dit
a quelqu'un qui ne pouvait lui repondre.
En ce moment, Sieyes se leva.
-- Citoyens, dit-il, les directeurs Moulin et Gohier demandent a
etre introduits.
-- Ils ne sont plus directeurs, dit Bonaparte, puisqu'il n'y a
plus de Directoire.
-- Mais, objecta Sieyes, ils n'ont pas encore donne leur
demission.
-- Qu'ils entrent donc et qu'ils la donnent, repliqua Bonaparte.
Moulin et Gohier entrerent.
Ils etaient pales mais calmes; ils savaient qu'ils venaient
chercher la lutte, et que, derriere leur resistance, il y avait
peut-etre Sinnamari. Les deportes qu'ils avaient faits au 18
fructidor leur en montraient le chemin.
-- Je vois avec satisfaction, se hata de dire Bonaparte, que vous
vous rendez a nos voeux et a ceux de vos deux collegues.
Gohier fit un pas en avant, et, d'une voix ferme:
-- Nous nous rendons, non pas a vos voeux ni a ceux de nos deux
collegues, qui ne sont plus nos collegues, puisqu'ils ont donne
leur demission, mais aux voeux de la loi: elle veut que le decret
qui transfere a Saint-Cloud le siege du corps legislatif soit
proclame sans delai; nous venons remplir le devoir que nous impose
la loi, bien determines a la defendre contre les factieux, quels
qu'ils soient, qui tenteraient a l'attaquer.
-- Votre zele ne nous etonne point, reprit froidement Bonaparte,
et c'est parce que vous etes connu pour un homme aimant votre pays
que vous allez vous reunir a nous.
-- Nous reunir a vous! et pour quoi faire?
-- Pour sauver la Republique.
-- Sauver la Republique!.. il fut un temps, general, ou vous aviez
l'honneur d'en etre le soutien; mais, aujourd'hui, c'est a no
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