"Eh bien, general, continua Bernadotte, puisque la France va
probablement passer entre vos mains, il est bon que vous sachiez
dans quel etat vous la prenez, et qu'a defaut de recu, un etat des
lieux fasse foi de la situation dans laquelle nous vous la
donnons. Ce que nous faisons a cette heure-ci, general, c'est de
l'histoire, et il est important que ceux qui auront interet a la
falsifier un jour, trouvent sur leur chemin le dementi de
Bernadotte!
-- Dites-vous cela pour moi, general?
-- Je dis cela pour les flatteurs... Vous avez pretendu, assure-t-
on, que vous reveniez parce que nos armees etaient detruites,
parce que la France etait menacee, la Republique aux abois. Vous
pouvez etre parti d'Egypte dans cette crainte; mais, une fois
arrive en France, il faut que cette crainte disparaisse et fasse
place a une croyance contraire.
-- Je ne demande pas mieux que de me ranger a votre avis, general,
repondit Bonaparte avec une supreme dignite, et plus vous me
montrerez la France grande et puissante, plus j'en serai
reconnaissant a ceux a qui elle devra sa puissance et sa grandeur.
-- Oh! le resultat est clair, general! Trois armees battues et
disparues, les Russes extermines, les Autrichiens vaincus et mis
en deroute; vingt mille prisonniers, cent pieces de canon; quinze
drapeaux, tous les bagages de l'ennemi en notre pouvoir; neuf
generaux pris ou tues, la Suisse libre, nos frontieres assurees,
le Rhin fier de leur servir de limite; voila le contingent de
Massena et la situation de l'Helvetie.
"L'armee anglo-russe deux fois vaincue, entierement decouragee,
nous abandonnant son artillerie, ses bagages, ses magasins de
guerre et de bouche, et jusqu'aux femmes et aux enfants debarques
avec les Anglais, qui se regardaient deja comme maitres de la
Hollande; huit mille prisonniers francais et bataves rendus a la
patrie, la Hollande completement evacuee: voila le contingent de
Brune et la situation de la Hollande.
"L'arriere-garde du general Klenau forcee de mettre bas les armes
a Villanova; mille prisonniers, trois pieces de canon tombees
entre nos mains et les Autrichiens rejetes derriere la Bormida; en
tout, avec les combats de la Stura, de Pignerol, quatre mille
prisonniers, seize bouches a feu, la place de Mondovi,
l'occupation de tout le pays situe entre la Stura et le Tanaso;
voila le contingent de Championnet et la situation de l'Italie.
"Deux cent mille soldats sous les armes, quarante mille cavalie
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