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centre du groupe principal, apercu Bonaparte, il s'approcha de
Josephine, a demi couchee au coin de la cheminee sur une chaise
longue, belle et drapee comme la statue d'Agrippine du musee
Pitti, et la salua avec toute la courtoisie d'un chevalier, lui
adressa quelques compliments, s'informa de sa sante, et, alors
seulement, releva la tete pour voir sur quel point il devait aller
chercher Bonaparte.
Toute chose avait trop de signification dans un pareil moment pour
que chacun ne remarquat point cette affectation de courtoisie de
la part de Bernadotte.
Bonaparte, avec son esprit rapide et comprehensif, n'avait point
ete le dernier a faire cette remarque; aussi l'impatience le prit-
elle, et, au lieu d'attendre Bernadotte au milieu du groupe ou il
se trouvait, se dirigea-t-il vers l'embrasure d'une fenetre, comme
s'il portait a l'ex-ministre de la guerre le defi de l'y suivre.
Bernadotte salua gracieusement a droite et a gauche, et,
commandant le calme a sa physionomie d'ordinaire si mobile, il
s'avanca vers Bonaparte, qui l'attendait comme un lutteur attend
son adversaire, le pied droit en avant et les levres serrees.
Les deux hommes se saluerent; seulement, Bonaparte ne fit aucun
mouvement pour tendre la main a Bernadotte; celui-ci, de son cote,
ne fit aucun mouvement pour la lui prendre.
-- C'est vous, dit Bonaparte; je suis bien aise de vous voir.
-- Merci, general, repondit Bernadotte; je viens ici parce que je
crois avoir a vous donner quelques explications.
-- Je ne vous avais pas reconnu d'abord.
-- Mais il me semble cependant, general, que mon nom avait ete
prononce, par le domestique qui m'a annonce, d'une voix assez
haute et assez claire pour qu'il n'y eut point de doute sur mon
identite.
-- Oui: mais il avait annonce le general Bernadotte.
-- Eh bien?
-- Eh bien, j'ai vu un homme en bourgeois, et, tout en vous
reconnaissant, je doutais que ce fut vous.
Depuis quelque temps, en effet, Bernadotte affectait de porter
l'habit bourgeois, de preference a l'uniforme.
-- Vous savez, repondit-il en riant, que je ne suis plus militaire
qu'a moitie: je suis mis au traitement de reforme par le citoyen
Sieyes.
-- Il parait qu'il n'est point malheureux pour moi que vous n'ayez
plus ete ministre de la guerre, lors de mon debarquement a Frejus.
-- Pourquoi cela?
-- Vous avez dit, a ce que l'on m'assure, que si vous aviez recu
l'ordre de me faire arreter pour avoir transgresse les lois
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