ut ou ses larmes coulaient pour le citoyen Marat. Il en
resulta que, le soir meme de la fete, au milieu de l'enthousiasme
que cette fete avait excite, ma mere fut decretee d'accusation.
Par bonheur, Bourg n'etait pas a la hauteur de Paris sous le
rapport de la celerite. Un ami que nous avions au greffe fit
trainer l'affaire, et, un beau jour, on apprit tout a la fois la
chute et la mort de Robespierre. Cela interrompit beaucoup de
choses, et, entre autres, les guillotinades; notre ami du greffe
fit comprendre au tribunal que le vent qui venait de Paris etait a
la clemence; on attendit huit jours, on attendit quinze jours, et,
le seizieme, on vint dire a ma mere et a ma soeur qu'elles etaient
libres; de sorte que, mon cher, vous comprenez -- et cela fait
faire les plus hautes reflexions philosophiques -- de sorte que,
si mademoiselle Teresa Cabarrus n'etait pas venue d'Espagne en
France; que si elle n'avait pas epouse M. Fontenay, conseiller au
parlement; que si elle n'avait pas ete arretee et conduite devant
le proconsul Tallien, fils du maitre d'hotel du marquis de Bercy,
ex-clerc de procureur, ex-prote d'imprimerie, ex-commis
expeditionnaire, ex-secretaire de la commune de Paris, pour le
moment en mission a Bordeaux; que si l'ex-proconsul ne fut pas
devenu amoureux d'elle, que si elle n'eut pas ete emprisonnee, que
si, le 9 thermidor, elle ne lui avait pas fait passer un poignard
avec ces mots: "si le tyran ne meurt pas aujourd'hui, je meurs
demain" que si Saint-Just n'avait pas ete arrete au milieu de son
discours, que si Robespierre n'avait pas eu, ce jour la, un chat
dans la gorge; que si Garnier (de l'Aube) ne lui avait pas crie:
"C'est le sang de Danton qui t'etouffe!" que si Louchet n'avait
pas demande son arrestation; que s'il n'avait pas ete arrete,
delivre par la Commune, repris sur elle, eu la machoire cassee
d'un coup de pistolet, ete execute le lendemain, ma mere avait,
selon toute probabilite, le cou coupe pour n'avoir pas permis que
sa fille pleurat le citoyen Marat dans une des douze urnes que la
ville de Bourg devait remplir de ces larmes. Adieu, Courtois, tu
es un brave, homme; tu as donne a ma mere et a ma soeur un peu de
vin pour mettre avec leur eau, un peu de viande pour mettre sur
leur pain, un peu d'esperance a mettre sur leur coeur; tu leur as
prete ta fille pour qu'elles ne balayassent pas leur cachot elles-
memes; cela vaudrait une fortune; malheureusement, je ne suis pas
riche: j'ai cinquan
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