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-- Sous tous les rapports! Que veux-tu que je fasse de Leclerc?
c'est un homme mediocre; de Bacciocchi, qui n'est pas Francais? de
Murat, coeur de lion, mais tete folle? Il faudra pourtant bien
qu'un jour j'en fasse des princes, puisqu'ils seront les maris de
mes soeurs. Pendant ce temps, que ferais-je de toi?
-- Vous ferez de moi un marechal de France.
-- Et puis apres?
-- Comment, apres? Je trouve que c'est fort joli deja.
-- Et alors tu seras un douzieme au lieu d'etre une unite.
-- Laissez-moi etre tout simplement votre ami; laissez-moi vous
dire eternellement la verite; et, je vous en reponds, vous m'aurez
tire de la foule.
-- C'est peut-etre assez pour toi, Roland, ce n'est point assez
pour moi, insista Bonaparte.
Puis, comme Roland gardait le silence:
-- Je n'ai plus de soeurs, dit-il, c'est vrai; mais j'ai reve pour
toi quelque chose de mieux encore que d'etre mon frere.
Roland continua de se taire.
-- Il existe de par le monde, Roland, une charmante enfant que
j'aime comme ma fille; elle vient d'avoir dix-sept ans; tu en as
vingt-six, tu es general de brigade de fait; avant la fin de la
campagne, tu seras general de division; eh bien, Roland, a la fin
de la campagne, nous reviendrons a Paris, et tu epouseras...
-- General, interrompit Roland, voici, je crois, Bourrienne qui
vous cherche.
En effet, le secretaire du premier consul etait a dix pas a peine
des deux causeurs.
-- C'est toi, Bourrienne? demanda Bonaparte avec quelque
impatience.
-- Oui, general... Un courrier de France.
-- Ah!
-- Et une lettre de madame Bonaparte.
-- Bon! dit le premier consul se levant vivement; donne.
Et il lui arracha presque la lettre des mains.
-- Et pour moi, demanda Roland, rien?
-- Rien.
-- C'est etrange! fit le jeune homme tout pensif.
La lune s'etait levee, et, a la lueur de cette belle lune
d'Italie, Bonaparte pouvait lire et lisait.
Pendant les deux premieres pages, son visage indiqua la serenite
la plus parfaite; Bonaparte adorait sa femme: les lettres publiees
par la reine Hortense font foi de cet amour. Roland suivait sur le
visage du general les impressions de son ame.
Mais, vers la fin de la lettre, son visage se rembrunit, son
sourcil se fronca, il jeta a la derobee un regard sur Roland.
-- Ah! fit le jeune homme, il parait qu'il est question de moi
dans cette lettre.
Bonaparte ne repondit point et acheva sa lecture.
La lecture achevee, il plia la
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