e jeune fille? La jeune fille honnete et pure, la jeune fille
ideale, par exemple? Et Clotilde n'avait-elle pas ete d'une facilite
inquietante pour l'avenir, d'une curiosite etrange, d'une coquetterie
effrayante?
Ou est-il l'homme qui connait les jeunes filles? S'il existe, je ne suis
pas celui-la et n'ai pas sa science. Ce fut inutilement que pendant
plusieurs heures je tournai et retournai ces difficiles problemes dans
ma tete, et je rentrai a la _Croix-Blanche_ comme j'en etais parti:
j'aimais Clotilde, voila tout ce que je savais.
Fatiguee de m'attendre, la servante de l'hotel s'etait endormie sur le
seuil de la porte, la tete reposant sur son bras replie. Je la secouai
doucement d'abord, plus fort ensuite, et apres quelques minutes je
parvins a la reveiller. En chancelant et en s'appuyant aux murs, elle me
conduisit a ma chambre.
VII
Quand j'ouvris les yeux le lendemain matin, ma chambre, dont les
fenetres etaient restees ouvertes, me parut teinte en rose. Je me levai
vivement et j'allai sur mon balcon; la mer et le ciel, du cote du
Levant, etaient roses aussi; partout, en bas, en haut, sur la terre,
dans l'air, sur les arbres et sur les maisons, une belle lueur rose.
Je me frottai les yeux, me demandant si je revais ou si j'etais eveille.
Puis je me mis a rire tout seul, me disant que decidement l'amour etait
un grand magicien, puisqu'il avait la puissance de nous faire voir tout
en rose.
Mais ce n'etait point l'amour qui avait fait ce miracle, c'etait tout
simplement l'aurore "aux doigts de rose," la vieille aurore du bonhomme
Homere qui, sur ces cotes de la Provence, dans l'air limpide et
transparent du matin, a la meme jeunesse et la meme fraicheur que sous
le climat de la Grece.
J'avais de longues heures devant moi avant de pouvoir me presenter chez
le general; pour les passer sans trop d'impatience, je resolus de les
employer a faire un croquis du fort. Puisque j'avais commence cette
histoire, il fallait maintenant la pousser jusqu'au bout en lui donnant
un certain cachet de vraisemblance, au moins pour le general, car, pour
Clotilde, il etait assez probable qu'elle n'en croyait pas un mot. Ses
questions a ce sujet, ses regards interrogateurs, son sourire incredule
m'avaient montre qu'elle avait des doutes sur le motif vrai qui avait
determine mon voyage a Cassis; si je voulais bien lui laisser ces doutes
qui servaient mon amour, je ne voulais point par contre qu'ils pussent
se presenter
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