Le baron recula de surprise; puis, tout aussitot, s'inclinant avec
un profond respect:
-- Quoi! s'ecria-t-il, vous ici, monseigneur? vous dans cette
pauvre chambre, vous sur ce miserable lit, vous cherchant et
choisissant le general futur, c'est-a-dire votre successeur?
-- Ne vous inquietez point de cela, monsieur; remplissez vite la
condition principale, qui est de fournir a l'ordre un secret d'une
importance telle, que l'une des plus grandes cours de l'Europe
soit, par votre entremise, a jamais infeodee a l'ordre. Eh bien!
avez-vous ce secret, comme vous avez promis de l'avoir dans votre
demande adressee au Grand Conseil?
-- Monseigneur...
-- Mais procedons par ordre... Vous etes bien le baron de Wostpur?
-- Oui, monseigneur.
-- Cette lettre est bien de vous?
Le general des jesuites tira un papier de sa liasse et le presenta
au baron.
Le baron y jeta les yeux, et avec un signe affirmatif:
-- Oui, monseigneur, cette lettre est bien de moi, dit-il.
-- Et vous pouvez me montrer la reponse faite par le secretaire du
Grand Conseil?
-- La voici, monseigneur.
Le baron tendit au franciscain une lettre portant cette simple
adresse:
A Son Excellence le baron de Wostpur.
Et contenant cette seule phrase:
Du 15 au 22 mai, Fontainebleau, hotel du Beau-Paon.
A M D G.
-- Bien! dit le franciscain, nous voici en presence, parlez.
-- J'ai un corps de troupes compose de cinquante mille hommes;
tous les officiers sont gagnes. Je campe sur le Danube. Je puis en
quatre jours renverser l'empereur, oppose, comme vous savez, au
progres de notre ordre, et le remplacer par celui des princes de
sa famille que l'ordre nous designera.
Le franciscain ecoutait sans donner signe d'existence.
-- C'est tout? dit-il.
-- Il y a une revolution europeenne dans mon plan, dit le baron.
-- C'est bien, monsieur de Wostpur, vous recevrez la reponse;
rentrez chez vous, et soyez parti de Fontainebleau dans un quart
d'heure.
Le baron sortit a reculons, et aussi obsequieux que s'il eut pris
conge de cet empereur qu'il allait trahir.
-- Ce n'est pas la un secret, murmura le franciscain? c'est un
complot... D'ailleurs, ajouta-t-il apres un moment de reflexion,
l'avenir de l'Europe n'est plus aujourd'hui dans la maison
d'Autriche.
Et, d'un crayon rouge qu'il tenait a la main, il raya sur la liste
le nom du baron de Wostpur.
-- Au cardinal, maintenant, dit-il; du cote de l'Espagne, nous
devons avoir que
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