vais, sans nul danger, sans nulle inquietude, chercher par le plus
facile chemin du monde une belle recompense que me promet cette
faveur du roi, je vais vous conquerir peut-etre; car quelle autre
faveur plus precieuse que vous-meme le roi pourrait-il m'accorder?
Eh bien! Louise, je ne sais en verite comment cela se fait, mais
tout ce bonheur, tout cet avenir fuit devant mes yeux comme une
vaine fumee, comme un reve chimerique, et j'ai la, j'ai la au fond
du coeur, voyez-vous, un grand chagrin, un inexprimable
abattement, quelque chose de morne, d'inerte et de mort, comme un
cadavre. Oh! je sais bien pourquoi, Louise; c'est parce que je ne
vous ai jamais tant aimee que je le fais en ce moment. Oh! mon
Dieu! mon Dieu!
A cette derniere exclamation sortie d'un coeur brise, Louise
fondit en larmes et se renversa dans les bras de Montalais.
Celle-ci, qui cependant n'etait pas des plus tendres, sentit ses
yeux se mouiller et son coeur se serrer dans un cercle de fer.
Raoul vit les pleurs de sa fiancee. Son regard ne penetra point,
ne chercha pas meme a penetrer au-dela de ses pleurs. Il flechit
un genou devant elle et lui baisa tendrement la main.
On voyait que, dans ce baiser, il mettait tout son coeur.
-- Relevez-vous, relevez-vous, lui dit Montalais, pres de pleurer
elle-meme, car voici Athenais qui nous arrive.
Raoul essuya son genou du revers de sa manche, sourit encore une
fois a Louise, qui ne le regardait plus, et, ayant serre la main
de Montalais avec effusion, il se retourna pour saluer
Mlle de Tonnay-Charente, dont on commencait a entendre la robe
soyeuse effleurant le sable des allees.
-- Madame a-t-elle acheve sa lettre? lui demanda-t-il lorsque la
jeune fille fut a la portee de sa voix.
-- Oui, monsieur le vicomte, la lettre est achevee, cachetee, et
Son Altesse Royale vous attend.
Raoul, a ce mot, prit a peine le temps de saluer Athenais, jeta un
dernier regard a Louise, fit un dernier signe a Montalais, et
s'eloigna dans la direction du chateau.
Mais, tout en s'eloignant, il se retournait encore.
Enfin, au detour de la grande allee, il eut beau se retourner, il
ne vit plus rien.
De leur cote, les trois jeunes filles, avec des sentiments bien
divers, l'avaient regarde disparaitre.
-- Enfin, dit Athenais, rompant la premiere le silence, enfin,
nous voila seules, libres de causer de la grande affaire d'hier,
et de nous expliquer sur la conduite qu'il importe que nous
suivions. Or,
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